OFAS : les limites du marc de café

Antoine Chollet •

L’erreur monumentale dans le calcul des pertes de l’AVS commise par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), qui a d’abord compté 4 milliards de dépenses annuelles qui n’existent pas, puis seulement 2,5 milliards, a très probablement modifié l’issue du scrutin, compte tenu du résultat serré de celui-ci. Un recours a été déposé devant la justice et le Tribunal fédéral devra statuer.

Qui sont les responsables ?

Cette lamentable affaire en a rappelé d’autres, qu’il s’agisse de la sous-estimation colossale de la perte de recettes fiscales qu’allait provoquer la Réforme de l’imposition des entreprises (RIE2) en 2008 ou les prévisions systématiquement fausses de déficit du budget de la Confédération, soulignant cruellement l’incompétence de l’administration fédérale. Celle-ci n’est en toute vraisemblance pas due à la qualité des salarié·e·s chargé·e·s de ces calculs, mais à la taille trop réduite des services qui les produisent. C’est à ce stade-là que l’erreur devient politique, puisque cette sous-dotation est évidemment volontaire. La droite n’aime pas que les données économiques et statistiques vraiment importantes soient à la disposition de tou·te·s.

Dans le cas de la réforme de l’AVS, un autre problème s’ajoute à celui-ci, qui tient à l’incompréhension fondamentale de la droite face au fonctionnement d’un système de retraites par répartition. L’insistance obsessionnelle sur le vieillissement de la population et l’allongement de la durée de la vie le montre très bien.

Pour la droite, l’AVS a en effet toujours été une sorte d’aide sociale, une extension de la charité privée et de la philanthropie. Les rentières·ers ne font rien, se contentant de recevoir de l’argent produit par d’autres. Il est donc normal que, le nombre des « inactives·ifs » augmentant, leur rente soit diminuée d’autant.

D’autre part, le modèle de la retraite de la droite repose uniquement sur la capitalisation. Chacun·e accumule son petit pécule, le fait fructifier sur les marchés financiers, et puise dedans pendant ses vieux jours. Ici aussi, la faiblesse durable des taux d’intérêt et l’augmentation du nombre d’années passées à la retraite semblent réduire mécaniquement le niveau des rentes.

Les chiffres importent peu

Quels que soient les calculs de l’OFAS, les perspectives apocalyptiques pour l’AVS et le système des retraites en général est donc fondamentalement logique pour la droite et ses relais médiatiques. Même si les estimations avaient été moins fantaisistes, la perspective d’une faillite à venir aurait quand même été avancée. L’idée qu’il est possible de verser des rentes dignes à l’ensemble de la population est pour eux totalement insensée.

Elle l’est pour des raisons extrêmement profondes, qui tiennent précisément à la logique de retraites par répartition que suit l’AVS, logique rigoureusement inverse à toutes les représentations que la droite se fait du fonctionnement de l’économie. Première différence : l’AVS repose sur un financement solidaire, un concept que la droite n’a jamais compris. Deuxième différence : l’AVS se finance immédiatement, elle ne repose pas sur des paris hasardeux sur l’avenir (alors que ce genre de paris est au principe même de la représentation que la droite se fait du fonctionnement de l’économie). Troisième différence : l’AVS bénéficie de l’augmentation de la productivité (alors que la droite considère que cette augmentation ne devrait en aucun cas profiter aux travailleuses·eurs, mais uniquement faire croître les profits).

En d’autres termes, pour la droite, l’AVS devrait être impossible. Or comme elle existe depuis maintenant plus de 75 ans, elle constitue une infirmation quotidienne des credos économiques bourgeois. En clair, elle est l’une des rares institutions qui ne reposent pas, pour l’essentiel de son fonctionnement, sur les mécanismes habituels du capitalisme. C’est bien cela qui effraie la droite et qui commande de prophétiser chaque semaine l’effondrement de ce qui constitue un scandale à ses yeux.

Imaginer des remèdes

Se lamenter ou se gausser de l’impéritie de l’administration fédérale en matière de calcul est toutefois un peu court. Car si des prévisions aussi délirantes peuvent pénétrer le débat public, c’est qu’il n’y existe aucune contre-expertise. Or ce serait la tâche des médias, des universitaires et des organisations de gauche de la produire. Au lieu de demander la démission des responsables des offices concernés, il faudrait donc plutôt s’inquiéter de l’état des médias, solliciter les chercheurs et chercheuses compétent·e·s lors des campagnes, et créer un véritable institut de recherche financé par les syndicats et les partis de gauche afin de disposer de chiffres plus fiables. L’avantage de la situation actuelle, c’est qu’il suffirait de quelques campagnes pour démontrer la qualité de ces derniers.

Cet article paraîtra dans le no 193 de Pages de gauche (automne 2024).

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