Mettre fin au stade Coubertin

Bertil Munk •

Depuis que mes semaines ne sont plus rythmées par mes entraînements de sport (abandonnés bien avant le 16 mars), une injonction m’est particulièrement insupportable : celle de devoir souscrire à un abonnement de fitness. Que ce soit par la publicité omniprésente, par mon propre sentiment de culpabilité à la vue du «NonStop Gym» de la gare et, le pire, par mes proches qui n’hésitent pas à me rappeler «qu’il faut souffrir pour être beau», cette nouvelle obligation morale traduit un rapport souvent malsain que nous entretenons avec nos pratiques sportives.


En 2020, si nous voulons faire du sport, il faudrait posséder une montre connectée capable de mesurer nos exploits sportifs pour ensuite les partager sur les réseaux sociaux. Au-delà de l’outil absurde et anecdotique, il est désormais courant pour beaucoup de ne trouver la motivation pour sortir et se défouler plus que dans la comparaison avec l’autre, laissant de côté la recherche du bonheur et de la santé.

La compétition, à bas !

Aller à la salle plus souvent que l’autre, soulever un poids supérieur à l’autre ou courir plus vite que l’autre : lorsqu’on prend ces habitudes, on oublie souvent qu’elles ne représentent aucune fatalité. Suivre aveuglément des normes virilistes ou des normes de beauté n’est pas un besoin naturel, mais une série d’artifices arrangeant bien certaines industries comme celle de la mode ou du cosmétique, qui n’hésitent d’ailleurs pas à les renforcer. De plus, cet éloge de la compétition sur la coopération n’affecte pas seulement notre santé mentale ou physique, mais aussi notre conception du monde. Tout comme nous serions fait·e·s pour nous dépasser mutuellement dans le sport, pourquoi cela ne devrait-il pas s’appliquer aussi dans le champ économique ? Les théories autour de la concurrence libre et non faussée y trouvent une gracieuse légitimation.

À l’origine du sport moderne

Au moment de l’institutionnalisation et de la démocratisation du sport à la fin du XIXe siècle, deux visions radicalement différentes de l’exercice physique se sont affrontées. En France, celles-ci ont porté le nom de la vision «versaillaise» contre la vision «communarde». La première était symbolisée par Coubertin et le fameux esprit olympique consistant en une forme d’élitisme méritocratique déterminé par l’excellence sportive ; «plus vite, plus haut, plus fort». Face à cela, le communard Paschal Grousset incarnait une vision démocratique dont le but était de faire du sport un outil d’éducation et d’épanouissement populaire à large échelle et au-delà des différences de capacité des personnes.

On retient de cette confrontation surtout l’esprit olympique, encore adoubé aujourd’hui malgré son eugénisme omniprésent. L’idée d’avoir des pratiques sportives démocratiques et émancipatrices n’a pas pour autant disparu. Lorsque le mouvement ouvrier est parvenu à dégager plus de temps libre, l’éducation physique pour toutes et tous est véritablement apparue. En France, le gouvernement du front populaire de 1936 en a fait une priorité et de nombreuses associations sportives ouvrières se sont multipliées dès cette période. Depuis, les communes de gauche se démarquent par leur volonté de rendre le sport accessible à tout le monde tout en faisant leur possible pour y maintenir un esprit de camaraderie (le culte voué à l’égard du contesté Coubertin par la ville de Lausanne constitue une triste exception).

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 176 (été 2020).

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