Suite à l’émission Infrarouge diffusée le 4 septembre 2013 sur la RTS, nous avions écrit au Conseiller fédéral Ueli Maurer pour lui faire part de notre vive désapprobation quant à certains de ses propos. Assimilant les femmes à la catégorie des êtres faibles (!) et assignant hommes et femmes à des fonctions sociales distinctes, nous avions dénoncé ces propos comme étant sexistes.
Son département a répondu à notre courriel. On nous expliquait que si nos correspondants étaient « navrés que les paroles de M. Maurer [nous] aient heurté. Ces propos n’étaient pas emprunts de sexisme, ni de défiance envers les femmes. » Il s’agissait d’un malentendu. Comme nous le montrons dans la suite de l’article, la réponse du département ne permet pourtant en aucun cas de comprendre en quoi les propos de M. Maurer « n’étaient pas emprunts de sexisme ».
Samedi passé, M. le Conseiller fédéral Ueli Maurer en remet une couche en affirmant:
Les réactions ne se sont pas fait attendre et le #uelidasbinich s’est rapidement diffusé sur Twitter!
Lors de notre précédent message, nous disions notamment « qu’affirmer que les femmes sont faibles et qu’il est nécessaire pour les hommes de les protéger est une vision complétement dépassée de la société et profondément sexiste. ». Nous le maintenons et affirmons que les propos cités ci-dessus sont également profondément sexistes. Alors nous reprenons la plume et cette fois, nous en profitons pour bien clarifier en quoi les propos d’Ueli Maurer sont sexistes!
Monsieur le Conseiller fédéral Ueli Maurer,
Selon la presse, il s’agirait-là de ce que vous avez déclaré depuis la tribune lors d’une de vos apparitions publiques dans le cadre de la campagne de la votation portant sur l’achat de nouveaux avions militaires. Selon les mêmes échos médiatiques, le public a majoritairement considéré qu’il s’agissait là d’une blague. Nous avons essayé de comprendre cela.
La première partie de la séquence (« Combien d’ustensiles vieux de 30 ans avez-vous encore à la maison? »), semble être une question dont les réponses possibles peuvent être un inventaire de ce que les gens possèdent chez eux en matière d’ustensiles et qui, malgré leur âge avancé, sont toujours en usage.
La réponse de M. Maurer à sa propre question contraste avec ce qui aurait été des réponses a priori possibles (la pendule des grands-parents, le bureau des enfants qui ont quitté la maison, la soupière dénichée dans une brocante…). La question projette un inventaire mobilier, tandis que la réponse fait apparaître un item, celui de femme. Elle indique aussi la fonction utilitaire que cet item remplit (« s’occupe des tâches ménagères ») – inscrivant par là, « la femme », dans la catégorie des « ustensiles ».
La blague en tant que blague est ainsi débutée par la réponse incongrue, qui suggère une extension de ce qui, usuellement, est considéré comme faisant partie de la catégorie des ustensiles. Mais il s’agit là d’une incongruité particulière, dans le sens où, pour que la blague fasse rire, il faut que ceux et celles à qui elle est adressée soient capables de discerner un horizon de sens et trouvent cela amusant. Il faut donc, minimalement, s’accorder un instant la liberté d’envisager de voir les femmes comme des ustensiles, des objets meubles dont on peut disposer, que l’on conserve ou remplace en fonction de la satisfaction qu’ils apportent – considérer les femmes comme des ustensiles ayant un propriétaire et une valeur d’usage. Il faut faire comme si – tout en s’accordant sur le fait, qu’en réalité, ce n’est pas le cas. Sinon, il ne s’agit plus d’une blague, mais d’une description de l’inventaire personnel d’un Conseiller fédéral.
Or, le monde que nous habitons comporte quelques similitudes avec le monde que présuppose la blague. Il a longtemps été possible de posséder légalement des gens, et des adultes ont été considérés, tout aussi légalement, pendant encore plus longtemps, comme inférieurs. En Suisse aussi. Précisément tous ceux qui, comme dans la blague, sont des femmes. Si le droit suisse ne mentionne plus de sexe supérieur, la réalité permet encore de distinguer duquel il s’agit. Il existe un terme pour cette manière d’aborder les rapports entre hommes et femmes, cela s’appelle du sexisme. Sous peine de relever du non sens, c’est le sexisme qui permet de comprendre la phrase de M. Maurer. Il faut également trouver cela drôle afin de réaliser définitivement la blague.
Et s’il ne s’agissait pas d’une blague ? Et si M. Maurer estimait vraiment que les femmes sont des ustensiles, des objets. Après tout, du point de vue de leur réalité physique, elles ont une présence comparable à celle d’une boule de pétanque, d’un saxophone ou d’un buffet. Comme les hommes. Selon cette seconde option, il n’y aurait rien de sexiste dans ses propos. Survient alors un doute : et si M. Maurer ambitionnait de faire de l’armée suisse la plus jeune du monde, de soutenir les carrières courtes, et préparait un plan de départ en retraite d’une ampleur inégalée, ou proposait de drastiquement rajeunir le gouvernement ?
Un monde où les forces utilisables auraient moins de trente ans demande sans doute d’entreprendre des réformes assez vastes. Etant donné que les collègues de M. Maurer en charge de l’économie et de la formation n’ont pas réagi, nous pensons que ce n’est sans doute pas là ce qu’il faut comprendre.
Reste donc un Conseiller fédéral qui, lors d’une campagne officielle, de manière publique, raconte en passant une blague sexiste. Et son auditoire, ça ne le dérange pas : il rit. Et vous Monsieur le Conseiller fédéral ? Ça ne vous dérange pas ?