Les staliniens de toutes espèces saluent en choeur les opérations de la Russie en Ukraine, y voyant une tentative de restauration de l’URSS ou bien la formation d’une nouvelle structure capable de s’opposer à la puissance des Etats-Unis et de lEurope de l’Ouest. Les arguments de ces gens-là sont d’une indigence pénible.
Par ses opérations dans le sud-est ukrainien, Poutine a tout simplement rejeté la Russie 200 ans en arrière et en a refait le « gendarme de l’Europe » comme l’Empire russe l’était en son temps en envoyant une armée de 140 mille hommes en expédition punitive en Hongrie pour écraser la révolution démocratique de 1848-1849.
Les élites dirigeantes de l’Est et de l’Ouest tâchent d’utiliser le conflit à leur avantage. Mais si l’impérialisme occidental est pragmatique dans son aspiration de contrôle les ressources, son rival russe suit une logique bien différente.
La Russie n’a pas besoin de récupérer des ressourses étrangères, elle en a suffisamment. Mais pour maintenir les siennes sous contrôle et en disposer sans entraves, les oligarques dirigeants doivent recourir à des procédés autoritaires. Ainsi tout ce qui menace d’ébranler le régime, que ce soit la liberté de presse, le mouvement pour la transparence électorale, la liberté des associations, – est férocement reprimé. L’apparition des alternatives, donc d’Etats démocratiques, dans le proche voisinage, sape le régime de Poutine, car leur exemple peut inspirer et animer le mouvement d’opposition et les conflits sociaux en Russie.
C’est pourquoi la Russie prête des sommes énormes au régime autoritaire de Loukachenko en Biélorussie et punit sévèrement les pays qu’elle soupçonne de vouloir avancer vers la voie démocratique. Ainsi, il y a quelque temps la Moldavie a été punie par la séparation de la Transnistrie, plus tard la Georgie l’a été par l’annexion de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, tout comme l’Ukraine de Maïdan l’est par la perte de la Crimée.
La Russie n’a pas besoin de ces territoires comme tels, car elle a déjà pas mal de régions déprimées chez elle. C’est la logique du gendarme qui prévaut : « Punir, et que les autres prennent garde! » Et affaiblir encore le pouvoir démocratique de sorte que, sans les territoires annexés, il ne puisse construire une économie durable et surtout, qu’un Etat libre, démocratique, sans corruption n’apparaisse à côté d’une Russie au visage hideux de la dictature.
C’est suivant cette logique que les empereurs russes ont envoyé les armées punitives en Europe au XIXème siècle et que leurs successeurs staliniens ont écrasé les mouvements populaires en Europe Centrale et de l’Est au XXème siècle. Cependant, l’URSS, du moins dans sa rhétorique, prétendît être une société non capitaliste. La Russie d’aujourd’hui par contre ne représente aucune alternative au capitalisme et ne se distingue des grandes puissances capitalistes que par le niveau monstrueux de l’exploitation des ouvriers, avec un système des rapports de travail ouvertement représsif.
Paru le 17 avril en russe sur le site de l’Opposition de Gauche en Ukraine. Kirill Buketov est un fondateur du KAS-KOR (Confédération anarco-syndicaliste) en Russie dans les années 1980. Il travaille actuellement à l’UITA (Internationale des travailleurs de l’agroalimentaire) à Genève et collabore avec le Global Labour Institute.