Les Lip, 50 ans déjà !

Antoine Chollet •

Les 28 et 29 septembre prochains aura lieu à Lausanne un événement pour commémorer les 50 ans du conflit de Lip en 1973. Projection du film de Christian Rouaud, Lip, l’imagination au pouvoir, à la Cinémathèque suisse le jeudi 28 septembre à 18h30, et journée d’étude publique à l’Université de Lausanne le vendredi 29 septembre. On en trouvera le programme détaillé ici.


Le 12 juin 1973, les administrateurs provisoires (tous des hommes) de l’entreprise Lip de Besançon sont séquestrés par les salarié·e·s de l’usine. En avril, l’entreprise bisontine a déposé le bilan, le travail s’est arrêté début juin et l’usine est occupée. L’entreprise suisse Ébauches SA (l’ancêtre d’ETA, pièce maîtresse de l’actuel Swatch Group) veut racheter Lip pour en faire une simple usine d’assemblage. Ce 12 juin, les administrateurs se révèlent être des liquidateurs. Un document subtilisé durant la réunion révèle qu’Ébauches SA souhaite se débarrasser de plus du tiers du personnel. Le préfet envoie les CRS, qui récupèrent les administrateurs, ne laissant sur place que les salarié·e·s.

Et là, un événement stupéfiant se produit. Puisque les otages ont été relâchés, une dizaine de salarié·e·s décide au milieu de la nuit d’en prendre un autre : le stock de montres (et tous les plans pour les fabriquer) ! Ils et elles passent le reste de la nuit à sortir les quelque 30’000 montres de l’usine de Pa- lente et à les cacher dans toute la région. Lors de l’Assemblée générale du 18 juin, une autre décision essentielle est prise : la remise en route de la production par les travailleurs et les travailleuses. C’est ce qui va conduire au slogan, qui est comme le résumé de toute la lutte des Lip : « C’est possible, on fabrique, on vend, on se paie ! ». Dans le même temps, d’importantes manifestations de soutien ont lieu à Besançon, car les Lip ont su susciter le soutien de la population locale.

Des réseaux de vente militants s’établissent un peu par- tout en France, et même à l’étranger. La solidarité avec les Lip est immense. Le 2 août, la première paie sauvage a lieu. Face à cet exemple d’autogestion ouvrière, le pouvoir prend peur et envoie une seconde fois les CRS, moins de deux semaines plus tard, cette fois-ci pour occuper l’usine. Et à ce moment-là à nouveau, les Lip réagissent à cette occupation en disant, comme le fait Charles Piaget — l’une des figures de la lutte — le même jour lors d’une manifestation spontanée dans les rues de Besançon, que « l’usine est là où sont les travailleurs, ce n’est pas des murs, l’usine». C’est à ce moment-là aussi que le butin de guerre, les montres « prises en otage », se révèle crucial puisque les Lip peuvent continuer à les vendre et à se payer, malgré leur expulsion de l’usine de Palente.

Le 29 septembre, une marche sur Besançon gigantesque rassemble quelque chose comme 100’000 personnes, qui traversent une ville complètement morte. Le bras de fer se termine en janvier 1974 par les accords de Dole, qui créent une nouvelle société et garantissent la réintégration de tou·te·s les salarié·e·s. C’est Claude Neuschwander qui en prendra la tête. Celle-ci finira par être brisée par le pouvoir en 1976, ce qui conduira à une nouvelle lutte qui se terminera en 1981 avec la création d’une série de coopératives.

Lip et la Suisse

Nous avions déjà parlé des liens entre Lip et la Suisse, à l’occasion d’une exposition montée par le Musée International d’Horlogerie à La Chaux- de-Fonds (voir Pages de gauche no 146). Ils sont de plusieurs ordres. Le plus évident concerne l’origine de l’entreprise liquidatrice, ce qui conduit une petite délégation de Lip à défiler à Neuchâtel le 18 mai 1973, alors que 500 autres se rassemblent devant le consulat suisse à Besançon. L’aventure Lip inspire toutefois aussi certain·e·s militant·e·s en Suisse, au contraire des centrales syndicales qui considèrent avec horreur cette expérience autogestionnaire.

De nombreux événements auront lieu durant toute l’année 2023 à Besançon, ainsi qu’une série de journées d’études organisées par les universités de Besançon (le 7 avril), Dijon (le 9 juin) et Lausanne (le 29 septembre). Les programmes détaillés se trouvent ici.

Article paru dans le Pages de gauche no 186 .

Pour aller plus loin: «Lip: un pan de la mémoire ouvrière», Le Courrier, 25 septembre 2023.

Illustration: couverture de Wiaz et Piotr, Les hors-la-loi de Palente, 1974.

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