Le succès méconnu de deux assurances publiques suisses

Hervé Roquet ·

La droite a beau jeu de crier à l’«étatisme» derrière chaque proposition visant à rendre l’assurance-maladie plus sociale, plus solidaire et moins coûteuse. En matière d’assurance, l’«étatisme» en Suisse a déjà fait ses preuves. Cette réalité est peut-être trop simple et trop crue pour être regardée en face par le camp bourgeois.


Pourtant, sous nos yeux, plusieurs spécimens d’assurances publiques ne cessent d’apporter au quotidien la preuve concrète du succès incontestable des modèles (quasi-)publics d’assurances en Suisse. Pour voir que les modèles publics fonctionnent, et ce sans coûts exorbitants pour les assuré·e·s, il suffit de s’intéresser au fonctionnement de l’assurance militaire et de l’assurance accident.

Financement et couverture

Pour cette dernière, le modèle diffère de l’assurance maladie puisque ce sont des cotisations salariales qui financent une assurance contractée par l’employeur, les secteurs à haut risque étant obligatoirement couverts par l’assurance quasi publique qu’est la Suva. Le succès de cette assurance est tel qu’elle couvre aujourd’hui plus de la moitié des salarié·e·s en Suisse. Rajoutons que son coût est indolore pour les assuré·e·s puisqu’il est perçu sur leur salaire brut et que l’assurance accident a la particularité de fonctionner sans franchise contrairement à l’assurance-maladie. Cette absence de franchise simplifie considérablement la prise en charge des patient·e·s, en particulier dans les hôpitaux, et leur garantit un meilleur suivi ainsi qu’une charge administrative moindre.

Structure tripartite et prévention

Mais ce n’est pas tout, la Suva est une assurance à but non lucratif qui a la particularité d’être surveillée par un organe tripartite nommé par le Conseil fédéral – le conseil de la Suva – où patronat et salarié·e·s sont représentés chacun par 16 représentant·e·s et l’État par 8. Cette structure tripartite, bien que souvent critiquée par la gauche pour le trop peu de poids effectif donné aux syndicats, a conduit à des investissements pragmatiques dans ce qui fonctionne le mieux, à savoir la prévention. C’est d’ailleurs dans ce domaine que la Suva a été chargée par le législateur de surveiller l’application des prescriptions sur la prévention des accidents et des maladies professionnelles et possède ainsi légalement des moyens effectifs pour encourager fortement la prévention. La Suva va par exemple jusqu’à octroyer des réductions de primes aux entreprises ayant pris de fortes mesures de prévention.

En termes de couverture, de prévention et d’organisation, cette assurance fonctionne remarquablement bien. Cependant un grand nombre de points restent à améliorer, par exemple sa politique très peu sociale d’investissements, la sous-représentation des femmes aux postes clés de la Suva, ou encore la protection des assuré·e·s contre les mesures d’espionnage que la Suva a parfois prises à l’encontre de ses assuré·e·s.

Une «exemplarité» militaire peu commune

Mais pour ce qui concerne ses activités d’assurances, le constat est sans appel: la Suva fonctionne bien. Tellement bien même que la confédération lui a demandé en 2005 de gérer de manière indépendante la plus publique des assurances publiques suisses: l’assurance militaire.

Aujourd’hui menacée par un projet de loi de révision partielle de l’assurance militaire, cette assurance introduite en 1902 est la plus ancienne des assurances sociales suisses. C’est aussi la quintessence d’une assurance publique qui marche. Cette assurance est caractérisée par une couverture remarquable assurée par un seul acteur (la Suva). Elle remplace pour les assuré·e·s à la fois l’assurance accident et l’assurance maladie. Elle est obligatoire pour tout le personnel militaire, et financée par l’employeur, c’est-à-dire la Confédération. Même si l’armée n’a pas souvent été une source d’inspiration pour Pages de gauche, force est de constater que son système d’assurance est exemplaire. Il pourrait facilement donner des idées à la gauche dans sa lutte visant à mettre en place un système d’assurances réellement sociales en Suisse. Alors oui, même si ça paraît étrange, osons le demandez haut et fort: oui à l’assurance militaire pour toutes et tous!

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 175 (printemps 2020).

Crédits image: Shubham Dhage sur Unsplash.

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