0

Le Sénégal sous Wade: après l’alternance politique, la nécessité de foi

Le changement promis lors de l’élection présidentielle de 2000 n’a pas eu lieu. Mais l’énergie du changement n’est pas morte et, forts de leur expérience, beaucoup espèrent en une prochaine alternance «dans la politique».

Veille du 19 mars 2000, le Sénégal a rendez-vous avec son histoire! Tel un adolescent amoureux qui patiente fiévreusement que sonne l’heure de la rencontre avec son désir, le Sénégalais de partout trépigne, sautille, jappe presque de cette effervescence qui envahit l’enfant guettant le vieux barbu sous le sapin. La sentence était entendue depuis longtemps, l’histoire politique du Sénégal devait enregistrer la page du changement, celle de l’alternance politique.

Une alternance politique attendue

Les Sénégalais avaient fini par éprouver une franche aversion pour le régime socialiste au pouvoir depuis 1960. De Léopold Sédar Senghor, le premier président, à Abdou Diouf, les socialistes ont étendu leur arrogante suffisance et leur mépris des règles élémentaires de gestion des affaires et deniers publics jusqu’aux espaces les plus intimes du peuple sénégalais. Le goorgorlou, étrillé par une vie de misère et mis au pas par les rigueurs des multiples plans d’ajustements structurels avait fini de succomber aux délires de l’espérance. Celle-là dont les entrepreneurs de la foi, conscients du terrain favorable que constitue cette misère à ciel ouvert, se sont fait les chantres. Avant l’arrivée de Wade et du parti démocratique sénégalais (PDS) au pouvoir, les Sénégalais avaient tout perdu . . . sauf la foi. C’est justement à cet ultime bien que ce peuple doit d’avoir vécu l’alternance politique le 19 mars 2000. En effet, l’explication de l’avènement de l’alternance politique au Sénégal réside éminemment dans sa mise en perspective avec un acte de foi dont l’objet est le changement politique. Le slogan du Sopi, maintes fois rabâché aux oreilles des citoyens ainsi que les textes de rap des jeunes, à l’engagement courageux, ne sont certainement pas étrangers à l’ancrage de la foi dans le changement qui vigoureusement naissait dans chaque foyer sénégalais. Aussi, dès l’annonce du deuxième tour des élections présidentielles de 2000, il était entendu que le peuple allait enfin «se faire justice» en guillotinant ce terreau de corruption et de clientélisme qu’était le régime socialiste.

Abdoulaye Wade, après près de 26 ans de vaines oppositions, est donc arrivé au pouvoir par la force du contexte, porté qu’il fut par la volonté collective d’un peuple assoiffé de changement, prêt à voguer vers des lendemains meilleurs.

Le changement plus que tout

Ce qui paraît fondamental ici est le fait que le peuple sénégalais était résolu à confier le changement à n’importe quel leader politique. La seule constante était l’espoir. Pour cette raison, l’unique mission assignée à Abdoulaye Wade par le peuple qui l’a élu était de donner âme, corps et vie à cet espoir de lendemain meilleur. Il n’en fallait pas beaucoup pour avoir des lendemains meilleurs en vérité. Prendre la pleine mesure de cela, c’est se rendre compte qu’au soir de son élection, d’opposant au crépuscule de sa gloire, Abdoulaye Wade est devenu le légitime président de tout un peuple qui, au-delà de la personne, voyait l’espoir. Au «Sopi» maintenant réalisé s’est substitué «Le Sénégal qui gagne!», slogan qui, comme cette fameuse boisson énergisante, a donné des ailes au goorgorlou nouvelle version; autrement dit le goorgorlou d’après alternance pour qui demain est subitement devenu une belle promesse de santé, d’épargne, d’instruction et d’infrastructures en plus.

Désillusion

Mal lui en prit, au goorgorlou, d’espérer son envol. Le rêve, c’était sans compter que «les promesses n’engagent que ceux qui y croient». La désillusion des Sénégalais a commencé avec un mécanisme insidieux de recrutement du personnel politique: la transhumance. Le terme lui-même suffit à comprendre les motivations de ceux qu’il faut, pour l’histoire, nommer les transhumants. Ce mécanisme a réinstallé au cœur du pouvoir les anciens manitous du régime socialiste, dont le peuple, au prix de sacrifices, avait réussi à se défaire. Aujourd’hui au Sénégal, en guise de changement, le peuple est aux prises avec un mal de vivre terrible. Les mots sont faibles pour dépeindre l’amertume généralisée des Sénégalais qui en sont à regretter l’époque d’Abdou Diouf et de ses pantins. La république est à genou à force de désacralisation des institutions, la justice assujettie aux humeurs du chef. Une immunité proprement incompréhensible enveloppe les fossoyeurs de l’espoir. Les Sénégalais vivent la plus grande inversion de la raison qu’il ne leur a jamais été donné d’imaginer. La désillusion et la misère du peuple sénégalais aujourd’hui sont simplement ineffables. Aujourd’hui, il apparaît clairement que le peuple sénégalais est de nouveau astreint à une historique nécessité de foi, comme celle d’avant l’alternance. Le propre de la foi réside moins dans sa capacité à faire sublimer des situations intenables de manière à les accepter au nom de la fatalité que dans la disposition qu’elle place en chacun d’agir pour accomplir un «idéal» sans même en connaître le contenu. Pourvu que le contenu du nécessaire nouveau Sopi, qui doit être le nouvel objet de foi, soit connu de tous, désiré de tous et maîtrisable par ceux qui auront la tâche historique d’enfin faire entrer le Sénégal dans une véritable alternance politique ou de préférence dans l’ère d’une alternance dans la politique. 

webmaster@pagesdegauche.ch

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *