Le coût réel du transport aérien low cost

Zoé Seuret •

L’été touchant à sa fin, Pages de gauche publie ainsi en libre accès l’article de Zoé Seuret relatif au trafic aérien low cost rédigé l’hiver passé dans le cadre d’un dossier dédié aux aéroports.


La récente ouverture des frontières marque le retour des offres surréalistes proposées par les compagnies aériennes low cost, bradant des vols à partir d’une vingtaine de francs. Souvent considérées comme un vecteur de démocratisation du transport aérien, les compagnies à bas prix sont pourtant problématiques à de multiples égards.

la fois fruit et symbole du processus de mondialisation des personnes et des marchandises, c’est dans les années 1990 qu’explose le phénomène des compagnies à bas coût. Avantageusement placée au milieu de l’Europe, la Suisse n’est pas en reste et le business model du low cost est bien implanté au sein du paysage aérien helvétique. Les Suisse·sse·s, volant deux fois plus souvent que leurs voisin·e·s selon l’Office fédéral de la statistique, sont ainsi des actrices·eurs majeur·e·s dans le marché effréné des compagnies à bas prix. Car rappelons en effet que sous les allures d’un vol au soleil pour «fuir le blues hivernal», tel que formulé sur le site internet de l’une des compagnies concernées, c’est bien d’un modèle économique brutal dont il s’agit. Optimisation, réduction maximale des coûts et des dépenses salariales, renforcement de la concurrence, mais aussi marketing agressif sont les maîtres-mots de ce modèle, qui ne trouve son équilibre de survie que dans des pratiques extrêmes.

Illusion de démocratisation

Permettre de rendre le transport aérien plus accessible aux classes moyennes, voire populaires, est un argument souvent relevé en faveur des compagnies low cost. À la vue du slogan adopté par easyJet, proposant de «rendre les vols aussi abordables qu’une paire de jeans», le pari semble réussi. Il s’avère pourtant que ce constat d’une démocratisation est en fait un trompe-l’œil. La question de «l’aéromobilité» ayant été investiguée, il apparaît que si massification il y a, celle-ci concerne en réalité plutôt le nombre de voyages que de voyageuses·eurs. Selon l’OFS, la fréquence de voyage des Suisse·sse·s issu·e·s d’un ménage à haut revenu (plus de 12’000 CHF par mois) a été cinq fois supérieure à celle de la classe de revenu la plus basse en 2015. Par ailleurs, il faut souligner que la formation actuelle des prix est, plutôt que le résultat de décisions dont les visées sont celles de la démocratisation et de l’harmonisation sociale, le reflet de privilèges fiscaux accordés aux compagnies, dont les conséquences sociales et écologiques sont aux frais du plus grand nombre.

Le prix à payer

Ce sont premièrement les employé·e·s des compagnies qui paient le prix du low cost par leurs conditions de travail. Car un avion qui ne vole pas n’est pas un avion rentable dans la logique du transport aérien à bas prix, les vols s’enchaînent et les équipages en pâtissent. Aussi, en raison du fait que les compagnies gagnent une grande partie de leurs revenus à travers la marchandise vendue pendant le vol (c’est notamment le cas de Ryanair dont 34% des revenus sont issus de la vente de nourriture, de boissons et d’articles hors taxes), les employé·e·s sont soumis·e·s à de fortes pressions, devant vendre un maximum d’articles à bord. Les mauvaises pratiques de cette même compagnie ont d’ailleurs récemment été dénoncées, celle-ci ayant été accusée d’appliquer le droit irlandais à l’ensemble de ses employé·e·s afin de payer moins de cotisations sociales, d’employer des pilotes sous le statut d’auto-entrepreneur·e ou encore de rémunérer ces derniers et dernières à l’heure de vol, en occultant le temps de travail au sol.

Finalement, il faut prendre en compte les coûts écologiques. En 2019, Ryanair devient la première compagnie aérienne à adopter une place dans le classement des dix plus gros émetteurs de CO2 d’Europe. Pourtant, les compagnies low cost, ne versant aucune taxe sur les hydrocarbures pour le kérosène, ne prennent pas leurs responsabilités. En parallèle, en prenant en compte le fait que trois avions sur quatre au départ de la Suisse ont pour destination l’Europe, des solutions telles que l’interdiction des vols court-courriers et le développement des trains de nuit paraissent urgemment nécessaires. En regard des coûts écologiques et sociaux engendrés, il apparaît donc que la persistance du modèle low cost n’est pas souhaitable.

Crédit image: Josh Methven sur Unsplash.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 182 (hiver 2021-2022).

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