Élections italiennes: est-ce que le moment du «vote de résistance» est venu ?

Emma Sofia Lunghi •

J’ai 28 ans, et le 25 septembre 2022 je serais appelée aux urnes pour les élections générales italiennes. Dix ans de droits de vote, et pourtant je n’ai pas l’impression de n’avoir jamais eu d’autre choix que de toujours tenter d’éviter le pire. Je suis en effet née l’année de l’entrée en politique de Silvio Berlusconi, et ai passé mon enfance à entendre que le principal objectif politique était de ne plus l’avoir comme Premier ministre. J’étais adolescente quand le Parti démocrate (PD), qui a réuni le centre droit et le centre gauche en une seule formation politique, a vu le jour et réussi à mettre fin à la domination berlusconienne. J’ai alors appris ce que signifie un « vote utile ». 


Mon premier article pour Pages de gauche date de 2019 (numéro 173 de Pdg). J’écrivais à l’époque qu’il était malgré tout nécessaire de soutenir le nouveau gouvernement italien formé par le PD et le Mouvement 5 étoiles à la suite d’une crise politique provoquée par Matteo Salvini, le leader de la Ligue du nord, dans l’optique de déclencher des élections anticipées devant lui permettre de prendre le pouvoir. Ma grande crainte d’alors était de voir La Ligue du nord prendre la tête de l’État avec Fratelli d’Italia (FdI), que je décrivais dans mon article comme «un petit parti d’extrême droite se revendiquant de l’héritage de Mussolini». Lorsque le PD faisait tout pour ne pas leur laisser échoir le pouvoir, ces formations fascistes se renforçaient de jour en jour. Tenter d’empêcher l’accession au pouvoir d’autrui ne constitue néanmoins pas un programme politique en soi, encore quand on le fait tout en étant au gouvernement.

Les fascistes aux portes du pouvoir

Aujourd’hui, à l’aube des élections générales, le FdI est en tête des sondages. Sa présidente Giorgia Meloni, qui est désormais le nouveau visage de l’extrême droite italienne, est une politicienne profondément fasciste, qui est, contrairement à ses prédécesseurs, parfaitement crédible, dangereusement capable et douée de grandes capacités locutoires. Je me suis sincèrement retrouvée à penser que la seule chose qui pouvait encore sauver mon pays était la profonde misogynie qui l’anime. Le programme de l’alliance d’extrême droite est très clair : investir dans le sport pour lutter contre les «déviances» juvéniles, instituer une flat tax (impôt à taux unique) qui fera épargner des millions aux riches et asséchera les services publics, rendre l’avortement impossible, renforcer l’armée, réduire les femmes à des appareils électroménagers et encourager la violence contre toute personne qui ne soit pas blanche, cis et hétérosexuelle. En l’absence de réelles alternatives, la majorité du «vrai peuple» (la journaliste turque Ece Temelkuran défini ainsi dans Comment conduire un pays à sa perte l’électorat des partis d’extrême droite, qui serait par nature opposé au «faux peuple» représenté par la gauche) semble séduit par ce programme. Comme nous le rappelle bien Ece Temelkuran, «l’infantilisation de la narrative politique partagée» est l’un des premiers symptômes de la montée du fascisme contemporain. Des causes simplistes sont ainsi trouvées aux problématiques du moment: la crise économique est la faute aux migrant·e·s, la pauvreté aux impôts et l’état du pays aux intellectuel·le·s de gauche.

Le vote de résistance

Face à des élections dont les résultats semblent inéluctables depuis l’adoption de la nouvelle loi électorale en 2017 qui favorise les grands partis et permet aux candidat·e·s de se présenter dans plusieurs circonscriptions, je ne peux imaginer d’autres solutions qu’un vote de résistance. Il me paraît alors le plus opportun de soutenir soit l’Alliance des Verts et de la Gauche (qui fédèrent deux petites formations politiques de gauche: la Gauche italienne et Europe verte-Les Verts), soit Plus d’Europe (dont la tête de liste est la militant féministe Emma Bonino), car ces formations sont les deux membres d’une grande coalition électorale dirigée par le Parti démocratique. L’idée est ainsi d’entraver au parlement le plus possible le probable futur gouvernement d’extrême droite. Pour opposer une alternative concrète à cette dernière, il est néanmoins nécessaire que la gauche italienne se rassemble autours d’un programme politique ressemblant au suivant: un investissement massif dans les énergies renouvelables — la géothermie pourrait par exemple satisfaire une grande partie des besoins énergétiques du nord d’Italie — une indexation des salaires à l’inflation, un congé de paternité obligatoire, un salaire minimum, la fin du financement public des structures de soin privées, un développement massif des transports publics et des chemins de fer locaux, la révision d’un système scolaire qui reste quasiment inchangé depuis les années 1920, l’imposition des profits extraordinaires des entreprises et des multinationales, le mariage pour tout·e·s, le droit d’euthanasie, la légalisation du cannabis et l’abolition du droit à «l’objection de conscience» du personnel médical qui empêche l’application réelle du droit d’avortement. Voici un véritable programme alternatif.

Crédit image: Slices of Light sur Flickr.

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