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Le 9-N en Catalogne, premier pas de désobéissance civile massive

«J’ai voté le poing en haut pour ma grand-mère antifranquiste, “rouge et catalaniste”, qui a passé des années en prison pour avoir participé d’un réseau clandestin d’aide aux vaincus de la guerre», postait un ami sur les réseaux sociaux.

Dimanche 9 novembre 2014, le peuple de la Catalogne a voté dans le cadre d’un «processus participatif» qui s’est substitué à la consultation officielle, interdite par une décision d’une rapidité jamais vue du Tribunal constitutionnel espagnol, qui a aussi interdit l’organisation du processus participatif. Le gouvernement catalan de Convergència i Unió (CiU), coalition nationaliste de droite, sous la pression populaire et avec l’engagement de plus de 40’000 bénévoles, a pu mettre en place ce vote.

Il a fallu tout le poids de l’Assemblée Nationale Catalane (ANC) et d’Òmnium Cultural (une association culturelle), deux organisations de la société civile, pour exiger du gouvernement le maintien du vote du 9 novembre et l’organisation d’élections dans les trois mois. L’ANC est une organisation très influente, qui avait organisé les dernières manifestations massives pour l’indépendance de la Catalogne, tenues chaque année depuis 2010 et réunissant entre un et deux millions de personnes. Ces mobilisations victorieuses montrent qu’après plus de six ans de crise économique aiguë, les classes populaires de la Catalogne ont saisi ce processus d’indépendance pour tout remettre à plat.

La veille de la votation, personne ne savait si les bureaux de vote pourraient être ouverts, si des fascistes et des nationalistes espagnols attaqueraient ces bureaux pour empêcher le vote, ni même si la participation, le grand enjeu de ce vote, serait élevée. Même parmi les plus optimistes, personne ne s’attendait à une participation aussi massive de la population avec plus de 2’300’000 votant·e·s, soit presque 50% du corps électoral, et ce malgré la logistique précaire par rapport à un scrutin normal: le vote était interdit, seule la moitié des bureaux de vote étaient ouverts, il n’y a pas eu de campagne officielle. La participation a donc été similaire à d’autres scrutins, comme les dernières élections européennes (2’500’000 votant·e·s). Le résultat est clair: 81% des personnes ont voté pour l’indépendance, 10% pour un arrangement fédéraliste avec l’État espagnol et 4,5% contre l’indépendance. La journée a été caractérisée par les files d’attente aux bureaux de vote, la joie, le calme (seule une attaque fasciste à Gérone, dans le nord de la Catalogne) et surtout l’émotion: beaucoup de personnes ont voté les larmes aux yeux. Comme l’a dit David Fernández, député de la Candidature d’Unité Populaire (CUP, gauche indépendantiste), ce 9 novembre a été un tsunami démocratique, contre un État «démophobe», un premier pas de désobéissance civile massive contre les tribunaux espagnols.

Le message est clair: nous voulons voter, nous l’avons fait et nous le ferons, car nous voulons résoudre ce conflit politique avec l’État espagnol par les urnes, sans attendre la permission de quiconque. Mariano Rajoy (Parti populaire, droite) actuellement au pouvoir ne cède pas et ne cèdera pas. De plus, quel que soit le parti espagnol qui remportera les prochaines élections générales de 2015 (PP, PSOE ou Podemos), aucun ne respectera le droit à l’autodétermination de notre nation sans État. De son côté, Artur Mas, l’actuel président de la Catalogne, a été contraint de défier Madrid sous la pression populaire. Néanmoins, son parti (CiU) se trouve dans une contradiction entre la volonté populaire et sa stratégie historique de négocier «l’autonomie» avec le gouvernement central. CiU représente aussi les intérêts d’une partie de la bourgeoise catalane, qui, en bonne classe dominante, préfère assurer ses intérêts économiques avec l’Espagne que prendre en compte la volonté populaire. Ainsi, l’organisation patronale catalane, Foment del Treball, fait campagne contre l’indépendance.

Contre ce processus d’émancipation nationale se dressent donc deux écueils: le bras de fer avec l’État espagnol, et les limites d’un régionalisme catalan qui se cantonne à la négociation avec l’État. Nous, le peuple catalan, n’avons plus peur, et ce processus ira jusqu’au bout. La tenue d’élections constituantes et une déclaration unilatérale d’indépendance semblent la seule voie possible pour obtenir l’indépendance. L’espoir d’un certain nombre d’entre nous est que cette rupture permette aussi de construire un pays neuf, débarrassé d’autres injustices, comme l’exploitation capitaliste et l’oppression des hommes envers les femmes. Parce que comme le dit notre cher poète Miquel Martí i Pol: «tot està per fer i tot és possible» (tout reste à faire et tout est possible)!

Glòria Casas Vila

Barcelone

 

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