Le 2e pilier à l’épreuve du genre

Michela Bovolenta (Secrétaire centrale SSP et militante de la Grève féministe) •

Alors que la lutte contre la contre-réforme AVS21 sera au cœur de ce 14 juin 2022, Pages de gauche republie l’article de Michela Bovolenta consacré aux inégalités de genre qu’institue également le 2e pilier.


En Suisse, le système d’assurances sociales a été construit par des hommes pour des hommes, à une époque où les femmes n’avaient même pas le droit de vote et n’étaient pas représentées au Parlement. Ainsi, le 2e pilier a été élaboré à partir d’un modèle d’emploi masculin, soit une carrière à plein temps pendant toute la vie, et d’un droit matrimonial qui assignait la femme au travail domestique. Si, au fil du temps, certaines caisses de pensions ont apporté quelques correctifs — notamment en abaissant le seuil d’entrée ou le montant de coordination — ceux-ci sont bien insuffisants pour gommer les disparités de genre. L’écart entre les rentes des hommes et des femmes reste abyssal.

37% de rentes en moins

En 2016, l’Office fédéral des assurances sociales et le Bureau fédéral de l’égalité ont publié une étude sur les rentes vieillesse. Cette analyse, la première en la matière, a conclu à une différence de rentes de 37% entre les hommes et les femmes. L’écart n’est que de 2,7% dans l’AVS, alors qu’il explose à 63% dans le 2e pilier et se situe à 54% dans le 3e pilier. Les disparités ne s’arrêtent pas là: si l’ensemble des retraité·e·s touchent une rente AVS, seule la moitié des retraitées bénéficient d’une rente du 2e pilier et à peine 14% du 3e. 80% des hommes bénéficient d’un 2e pilier et 25% d’un 3e.

Outre les inégalités au niveau des rentes, cette étude montre que le système des trois piliers est un leurre, en particulier pour les femmes. Si on prend en compte le nombre de bénéficiaires et le montant des rentes, la majorité des retraité·e·s ont comme seule ou principale source de revenu l’AVS. Le 2e pilier est excluant et inégalitaire: il n’assure que les personnes qui ont eu une activité lucrative et un bon niveau salarial. Quant au 3e pilier il est réservé à un petit nombre et n’assure qu’une petite partie des revenus à la retraite.

Répartition inégale du travail domestique

Les disparités de genre dans le 2e pilier s’expliquent en grande partie par une répartition traditionnelle des rôles entre les sexes. Le modèle traditionnel de famille a été ancré dans le droit matrimonial jusqu’à sa révision en 1988: l’homme y était défini comme le «chef de l’union conjugale», qui pourvoit à l’entretien du ménage, la femme comme la responsable du travail domestique. Aujourd’hui, toute l’organisation sociale reste emprisonnée dans ce modèle patriarcal.

Selon l’OFS, en 2020, les femmes et les hommes ont accompli le même nombre d’heures de travail, soit 46 heures par semaine, mais les deux tiers du travail des femmes ne sont pas rémunérés puisqu’il s’agit de travail domestique, éducatif et de soins. Contrairement à l’AVS, le 2e pilier ne prend aucunement en compte ce travail gratuit. Plutôt que de changer le système, on enjoint aux femmes d’augmenter leur taux d’activité lucrative. Or, cumuler deux emplois d’une durée hebdomadaire de 42 à 45 heures par semaine avec le travail domestique et familial s’apparente à une mission impossible. Ainsi, dans la vie réelle, huit mères sur dix occupent un emploi à temps partiel contre à peine un père sur dix.

Inégalités des parcours professionnels

Au-delà de cette répartition inégale des rôles au sein de la famille, le monde professionnel reste en soi discriminatoire. Le plein temps, les bons salaires, les postes à responsabilités demeurent l’apanage des hommes: 40% des femmes sans enfants travaillent à temps partiel contre 13% des hommes; 17% des femmes sont au chômage ou en sous-emploi contre 9% des hommes; l’écart salarial est de 19% à temps de travail équivalent. L’accumulation de toutes ces discriminations pendant la vie active se retrouve dans les niveaux de rentes des femmes, tout particulièrement dans le 2e pilier. C’est pourquoi il faut changer de système et construire une prévoyance vieillesse qui soit solidaire, féministe et durable.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 181 (automne 2021).

Crédits image: Marek Piwnicki sur Unsplash.

Soutenez le journal, abonnez-vous à Pages de gauche !

webmaster@pagesdegauche.ch