À la ZAD, reprendre du pouvoir sur sa vie et son quotidien

Entretien avec une zadiste •

Depuis, longtemps, des luttes se sont développées contre la construction de nombreux aéroports dans le monde. L’une des plus emblématiques de ces dernières années est celle de la ZAD (zone à défendre) de Notre-Damedes-Landes, près de Nantes. Celle-ci a réussi, en 2018, à contraindre le gouvernement à abandonner son projet d’aéroport. Nous nous sommes entretenus avec l’une des innombrables militantes qui a participé à cette lutte, qui a bien voulu nous en expliquer quelques aspects.


En quoi consistait le projet contre lequel la ZAD de N.-D. des Landes s’est créée ?

Le projet d’aéroport du Grand Ouest de Notre-Dame-des-Landes est né dans les années 1960, en période de forte croissance économique. Il avait pour but de répondre à la supposée saturation de l’aéroport international de Nantes-Atlantique. Sa construction devait se faire au détriment de 1’650 hectares de terres agricoles et surfaces boisées.

Cependant, en 1974, les autorités donnent à ce territoire le statut administratif de ZAD: zone d’aménagement différée, donnant à une collectivité locale un droit de préemption sur toutes les ventes de biens immobiliers. Sans que ce soit volontaire, le statut de ZAD a permis à cette réserve foncière de ne pas être urbanisée et d’être préservée des remembrements agricoles, présentant alors au fil des années des caractéristiques faunistiques et floristiques exceptionnelles.

floristiques exceptionnelles. Mis en sommeil après deux chocs pétroliers, le projet est relancé en 2000 pour «valoriser la dimension internationale et européenne du Grand Ouest». Son ouverture était prévue pour 2017. Son coût s’élevait officiellement à 556 millions d’euros dont 43,3% directement subventionnés par l’État et les collectivités locales.

Le décret d’utilité publique tombe en 2008 et le Conseil général décide de vider la zone et laisse inoccupées les maisons vacantes. En 2010, Vinci et sa filiale AGO remportent l’appel d’offres pour la conception, le financement, la construction et l’exploitation du futur aéroport pour une période de 55 ans. C’est ainsi que se met en place un partenariat public/privé où l’État, propriétaire des terres, injecte des fonds publics dans un projet qui rapportera ensuite de l’argent à une multinationale privée. Tout comme il le fait pour les autoroutes.

Quelle a été la chronologie du mouvement, de la décision de créer une ZAD jusqu’à la victoire finale?

L’histoire de l’opposition au projet d’aéroport débute bien avant la ZAD. Celle-ci est organisée à partir de 1972 par des paysan·ne·s puis s’est poursuivie dans les années 2000 avec un collectif de citoyen·ne·s riverain·e·s du futur aéroport. Rassemblant un grand nombre d’informations et de précisions techniques, ils et elles commencent un travail incessant d’enquête et de contre-information, se déplaçant dans toute la région afin de convaincre un maximum de personnes de l’illégitimité du projet. Durant cette période, de nombreux recours en justice sont déposés, mais tous sont rejetés

En 2009, devant la pression à quitter la zone et la voyant se vider, un groupe d’habitant·e·s historiques appellent à venir occuper la ZAD. En parallèle un camp climat est organisé à l’été, marquant l’arrivée en force d’un courant d’écologistes radicales ·aux et anticapitalistes, promouvant l’autogestion et l’action directe. Au cours des années ces squatteuses·eurs, venu·e·s de la ville voisine ou d’ailleurs, des milieux militants libertaires ou décroissants investissent les fermes laissées à l’abandon ou construisent des habitats à base de matériel de récupération. Des cultures collectives commencent à voir le jour.

C’est à cette période que se multiplieront les actions contre les acteurs du projet d’aéroport, marquées par le slogan « Résistance et Sabotage», porté par la frange anticapitaliste du mouvement. Vinci, AGO ainsi que tout partenaire qui se lancera dans l’avancée du projet et des travaux seront systématiquement pris pour cible: pneus crevés, vol de carottage de terre, ou de documents d’analyses, pression à quitter les lieux, etc.

Les manifestations et les actions locales contre le projet se multiplient, mais en octobre 2012, le nouveau gouvernement lance une opération d’expulsion contre les 80 squatteuses·eurs de l’époque. Contre toute attente, la résistance devient virale, des centaines de personnes se relaient pour construire ou défendre les barricades, ou apporter du soutien logistique (nourriture, matériel médical, de construction, vêtements chauds, accueil pour quelques nuits de repos). Après quelques semaines d’enlisement, l’État met en suspens le projet et quitte la zone, espérant probablement un auto-sabotage de la part de ses occupant·e·s dont les effectifs ont par ailleurs triplé.

Pendant 5 ans, les autorités abandonnent cette zone qualifiée «de non-droit». Outre le mouvement d’occupation, rassemblant des occupant·e·s et des habitant·e·s historiques, une cinquantaine de groupes composent à présent la coordination des opposant·e·s: des associations citoyennes, des paysan·ne·s, des naturalistes en lutte, des élu·e·s, et une centaine de comités de soutien répartis sur toute la France. Cette assemblée vise l’abandon du projet en se focalisant sur les actions massives et pour la défense des terres de la ZAD. Partout en France d’autres ZAD naissent contre des projets inutiles. Des formes d’actions fortes et diversifiées, soutenues massivement, forceront l’État à reculer le démarrage des travaux jusqu’à l’abandon définitif du projet en janvier 2018.

La ZAD disait se battre «contre l’aéroport et son monde». Qu’entendiez-vous par «son monde»?

La lutte va au-delà de l’opposition à l’aéroport et remet en cause le capitalisme dans son ensemble. L’occupation comme forme d’opposition à l’aéroport n’a de sens que dans la mesure où elle permet de construire une pratique et un discours qui remettent en cause les normes sociales et institutionnelles, le productivisme, la bétonisation, la gentrification, la marchandisation du vivant, le patriarcat, les politiques migratoires, la répression et les violences policières. En somme il s’agit de trouver des formes de vie plus conscientes basées sur l’entraide, la mutualisation et les solidarités, l’expérimentation et l’échange des savoirs afin de décloisonner le monde et obtenir une vision d’ensemble. Les occupant·e·s défendent avant tout des formes de vie non assignées au système capitaliste. Elles·ils cherchent à donner de l’espace à la marge.

En quelques mots, pourriez-vous décrire comment la ZAD fonctionnait au quotidien ?

Les occupant·e·s se sont alors retrouvé·e·s plongé·e·s dans une expérience collective et autonome inédite. Sur le terrain, le quotidien prend évidemment beaucoup de place, de nouvelles et nouveaux occupant·e·s arrivent, de toute origine sociale et avec différents points de vue sur la lutte. Tout est discuté, rendant parfois les décisions compliquées.

Vivre sur la ZAD c’est avoir du pouvoir sur sa vie et son quotidien: se construire une cabane, participer aux activités, faire de la stratégie, faire du maraîchage, de l’élevage, comprendre ce qui compose le territoire. C’est aussi donner de l’importance à la production immatérielle, au soin: le travail de cohésion, d’écoute, gérer l’accueil des nouvelles·aux arrivant·e·s… et bien sûr les embrouilles.

De nombreux lieux de production et activités ont vu le jour, agricoles, artisanales ou culturelles: boulangerie, potager collectif, conserverie, fromagerie, forge, scierie, bibliothèque, bus féministe… Un système d’assolement permet de gérer collectivement l’ensemble des terres et les productions. Depuis peu, la ZAD a obtenu un statut juridique inédit en France pour garder la gestion sur le long terme des espaces boisés. L’enjeu est autant d’occuper le territoire que de démontrer que des manières de vivre autres que celles imposées par les normes et la société de consommation sont possibles et désirables.

Propos recueillis par Antoine Chollet.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 182 (hiver 2021-2022).

Crédits image: FETHI BOUHAOUCHINE ☑ sur Unsplash.

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