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La santé quand on ne peut pas se la payer

Entretien avec Nathalie Bonnin •

Le système de santé suisse ayant de graves lacunes, les personnes les plus vulnérables n’y ont souvent pas accès. Créé en 1999 à Lausanne, le Point d’eau est un centre de santé, d’orientation sociale et d’hygiène qui s’engage au quotidien pour pallier ces lacunes en offrant des prestations de qualité à des prix symboliques. Nous avons rencontré Nathalie Bonnin – ostéopathe bénévole au Point d’eau – pour en apprendre plus sur la réalité des personnes précaires à Lausanne et sur l’action du Point d’eau.

Le Point d’eau, en quelques mots, c’est quoi pour vous ?

C’est un endroit pour les personnes démunies qui ont besoin de soins et d’hygiène. Cette dernière dimension est très importante pour toutes les personnes qui, ailleurs, n’ont pas accès à des douches ou à des machines à la- ver par exemple. Au départ c’était surtout orienté vers l’hygiène, mais très rapidement le Point d’eau a été confronté aux besoins de soins de santé des personnes de bas seuil et nous avons rapidement élargi le nombre de thérapeutes présents. Au moment de la création, il y avait déjà une infirmière, un dentiste et un ostéopathe.

Comment fonctionne votre tarification et pourquoi vos prestations ne sont-elles pas gratuites ?

Les prix sont extrêmement bas et varient quelque peu entre les thérapeutes, pour une consultation de 45 minutes d’ostéopathie c’est 5 frs par exemple, mais si la personne ne peut pas payer cette somme – et cela arrive – alors on trouve un compromis directement avec elle. J’ai déjà fait des consultations où la personne n’a payé que 1 fr. Il est symboliquement important de demander une contribution car la personne paie ainsi pour son soin. Elle est donc active dans sa guérison et elle règle une prestation qu’elle a demandée. Il faut aussi rajouter que la tarification a comme effet bénéfique de réduire le nombre de personnes qui ne viennent pas aux consultations.

Où sont les problèmes majeurs de l’accès aux soins des personnes précaires en Suisse ?

Le système n’est pas accessible car il est trop cher. Il y a des gens qui ont une assurance-maladie, mais qui ne peuvent pas se payer le médecin. C’est aberrant : la personne paie chaque mois, mais ne peut aller chez la·le médecin en raison de la franchise. Même payer le 10 % de la quote-part parfois c’est trop, même avec des franchises de 300 frs.

Est-ce que des personnes qui ont une assurance maladie viennent aussi au Point d’eau ?

Oui absolument. Ces personnes viennent et de plus en plus car elles ne peuvent payer la franchise ou alors pour des prestations qui ne sont pas couvertes par la LAMal mais dont elles ont besoin (podologie, ostéopathie, massage, dentiste, etc.). Il y a beaucoup d’étudiant·e·s dans cette situation. Nous voyons également l’augmentation des personnes à la retraite, des femmes en particulier, qui n’ont souvent qu’une maigre retraite.

Toutefois, ce n’est pas la majorité des cas que nous recevons au Point d’eau. La plupart du temps les personnes que nous recevons n’ont pas d’assurance-maladie du tout, elles n’ont souvent pas de papiers, elles sont donc complètement en dehors du système social. Ce sont des working poor. Parfois embauchées à la journée et qui ne peuvent se permettre d’être malades faute de quoi elles perdraient leur travail.

Dans cette situation, j’ai beaucoup de femmes de ménage qui viennent me consulter. Leur corps est souvent mis à contribution dans leur métier, ce qui fait que lorsqu’il ne suit plus c’est la catastrophe, elles ne peuvent plus travailler ni payer les factures de soins dont elles ont besoin. J’ai eu en consultation une dame qui s’est forcée à travailler alors qu’elle avait un bras qui fonctionnait mal. Elle a travaillé parce qu’elle n’avait pas le choix. J’ai pu observer des situations similaires avec des hommes travaillant dans la construction, qui sont venus ici suite à un accident de travail, et qui se sont forcés à y retourner bien que leur corps ne se soit pas remis.

Qu’est-ce que vous attendez des pouvoirs publics ?

Qu’ils subventionnent plus d’endroits comme ici ! Certains cantons n’ont même pas d’endroits équivalents. Concrètement pour le Point d’eau Lausanne il nous faudrait d’autres locaux. Pour l’instant nous sommes vraiment à l’étroit ici et nous cherchons à nous agrandir. Nous avons les bénévoles qu’il nous faut, mais plus vraiment la place.

Propos recueillis par Hervé Roquet

Publié dans le n° 175 (printemps 2020) de Pages de gauche.

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