La plate-forme réformiste au sein du PS Suisse

Adrian Zimmermann (membre du comité du Cercle d’Olten des socialistes de gauche) •

Remarques préliminaires: La «Plateforme réformiste – Les sociaux-libéraux au sein du PS Suisse», qui est depuis environ quatre ans principalement active dans les médias, s’est officiellement constituée en association le 19 juin 2021. À cette occasion, je republie ici les commentaires critiques que j’avais émis lors de la création de la « Plateforme réformiste », qui étaient parus au printemps 2017 dans le numéro 163 de Pages de gauche dans une version très abrégée traduite en français par Arnaud Thièry. En substance, il me semble que ma critique de l’époque de la « plate-forme réformiste » demeure toujours pertinente. Leur désormais auto-désignation en tant que « sociaux-libéraux » renforce même l’impression que j’avais eu que les membres de l’aile droite du Parti socialiste suisse adoptent programmatiquement une idéologie bourgeoise de gauche et non un socialisme réformiste classique fortement enraciné dans le mouvement ouvrier. Elles et ils se situent ainsi malheureusement en termes d’histoire des idées politiques en dehors de la tradition sociale-démocrate. Dans la pratique politique, comme le montre par exemple la position bienvenue du Conseiller aux États Daniel Jositsch (PS, ZH) — l’un des premiers soutiens de la « plate-forme réformiste » — sur le départ du parti du très droitier Conseiller d’État zurichois Mario Fehr — les membres cette plate-forme apparaissent comme étant les représentant·e·s de la droite du socialisme démocratique.Il serait bienvenu qu’elles et ils endossent l’héritage idéologique aujourd’hui largement orphelin des courants modérés de la social-démocratie (socialisme éthique, révisionnisme, etc.) au lieu de poursuivre une tentative vouée à l’échec de garnir d’un contenu social-démocrate de vagues idées bourgeoises de gauche. En tant que gauche du parti, nous saluons l’organisation de sa droite. Cette dernière doit nous inciter à redevenir plus actives·fs. Toutefois, un mythe — répandue moins par la droite du parti que par les médias bourgeois — demeure ; selon celui-ci la gauche du parti dicterait désormais la ligne politique du PS Suisse. Si, un grand nombre des principales·aux représentant·e·s du PS Suisse sont effectivement issu·e·s de nos rangs, la droite du parti est néanmoins certainement au moins aussi forte que sa gauche dans les groupes parlementaires et surtout parmi les membres socio-démocrates d’exécutif (traduction de la nouvelle introduction par Joakim Martins).


Der Originalartikel ist auf der Website des olteneren Kreises auf deutsch verfügbar.

La droite du parti sur la défensive

Pour la première fois depuis le «manifeste du Gurten» de mai 2001, une aile droite organisée apparaît au sein du PS Suisse. Le groupe, qui se désigne comme «une plate-forme réformiste au sein du PS Suisse», s’est présenté aux médias peu de temps après le Congrès de Thoune en décembre dernier. Les initiantes et initiants de ce groupe avaient tenté de faire passer une motion de renvoi du document intitulé «préparer l’avènement d’une démocratie économique, dans le respect de l’écologie et de la solidarité» (ci-après: papier sur la démocratie économique), mais cette proposition avait été largement rejetée. Le 27 février 2017, ce groupe a présenté un premier projet de «document de base sur les valeurs et les positions». Ces étapes ont à chaque fois obtenu un écho médiatique important. La presse a alors hésité entre deux positions, la première, bien connue, consistant à qualifier de «scission» toute divergence d’opinions au sein du Parti socialiste, la seconde consistant à dévaloriser ce papier comme n’étant qu’une tentative de se profiler émanant de politiciennes et politiciens intéressé·e·s à des mandats gouvernementaux. Du point de vue de la gauche du parti, ce papier doit bien entendu être apprécié de manière critique. Toutefois, la première interprétation nous semble totalement exagérée, alors que la seconde est beaucoup trop simpliste.

La gauche du parti ne peut pas s’opposer à ce que l’aile droite se dote d’une plate-forme organisée, ne serait-ce qu’en raison des conséquences de cette attitude. Les socialistes de gauche ont volontairement adhéré à un parti de masse qui recouvre un large spectre politique. Ainsi, l’aile gauche du parti pourrait saluer l’adoption d’une plate-forme de droite, si celle-ci contribuait à permettre des débats de fond plus argumentés au sein du parti.

Moins contesté que le «manifeste du Gurten»

Contrairement au manifeste du Gurten, la nouvelle plate-forme n’a toutefois pas provoqué de vagues importantes au sein du parti jusqu’à présent. Ce papier n’a pas provoqué de discussions sur l’avenir du parti. Lors de la parution du manifeste du Gurten, des personnes comme Valérie Garbani, Pierre-Yves Maillard, Philipp Müller et le soussigné avaient publié une critique acerbe dans le journal bernois «Der Bund». Nous reprochions au groupe du manifeste du Gurten de vouloir «transformer la social-démocratie suisse en quatrième parti bourgeois».

Que la polémique ait été à ce point-là forte en 2001 s’explique surtout par le fait qu’il y avait à l’époque des débats intenses au sein du PS Suisse autour de la loi sur le marché de l’électricité. Le «Cercle d’Olten» formait à l’époque, au sein du parti voire au-delà, le noyau dur des opposant·e·s à cette loi, finalement refusée en référendum. Simonetta Sommaruga, initiatrice du manifeste du Gurten et actuelle Conseillère fédérale, était l’une des partisanes les plus déterminées de cette loi au sein du parti.

Ainsi, même si le papier de base de la nouvelle «plate-forme réformiste» n’est en l’état qu’un projet, on peut d’ores et déjà pronostiquer que ce document, formulé en des termes plutôt défensifs, ne provoquera pas des débats aussi vifs que le manifeste du Gurten.

Après Blair et Schröder: la crise de l’aile droite du parti

Le contexte international joue aussi un rôle important: le manifeste du Gurten était à l’époque clairement une tentative de provoquer au sein du PS Suisse un virage à droite, comme l’avaient fait Blair et Schröder. D’un point de vue purement électoral, cette ligne connaissait des succès importants à l’étranger. Ce n’était d’ailleurs pas étonnant. Après des années de politique de démantèlement néolibérale et réactionnaire, Blair passait pour un moindre mal. De même, après les années de stagnation conservatrice de l’aire Kohl, le gouvernement Schröder-Fischer avait quelque chose de rafraîchissant. Toutefois, il y avait des voix à gauche qui avertissaient du fait que la ligne de Blair et Schröder faisait beaucoup trop de concessions au néolibéralisme et reléguerait dans l’opposition une social-démocratie qui aurait perdu toute crédibilité.

Aujourd’hui, il n’y a presque plus personne pour prétendre que la ligne de Schröder et Blair serait porteuse d’avenir. La tentative incompréhensible de la réactiver en France sous Hollande et Valls a provoqué une débâcle encore plus importante. L’homme qui a toutefois tiré profit de cette politique pour sa carrière personnelle — Emmanuel Macron — a très officiellement pris congé de la gauche. Cependant, dans l’optique de la gauche de la social-démocratie, la situation française n’a rien de réjouissant. Ce qui reste de la gauche est précisément en train de s’entre-dévorer.

La social-démocratie néerlandaise court vers le précipice

La comparaison entre le PS Suisse et des partis comme le SPD, le Parti socialiste français ou le Labour britannique est toujours difficile en raison des différences des systèmes politiques. Le PS Suisse est toujours resté un parti ancré à gauche, en comparaison internationale. Cela tient aussi au fait qu’il n’a jamais été en position de former un gouvernement majoritaire, seul ou avec un petit parti allié. Il lui a donc toujours été plus facile d’occuper clairement l’aile gauche du champ politique et de ne pas trop dévier vers le centre. Plutôt que de comparer le PS Suisse aux partis sociaux-démocrates des grands États européens, il est plus instructif de le comparer au parti néerlandais «Partij van de Arbeid (PvdA)» qui a, en moyenne, toujours eu dans l’histoire plus ou moins la même taille que le PS Suisse. De plus, le système politique néerlandais est plutôt un système de compromis que de concurrence. À l’instar du PS Suisse, le PvdA a aussi accompli après 1968 une ouverture marquée vers les «nouveaux mouvements sociaux».

Cependant, depuis les années 1990, ce parti est devenu un des fers de lance de ce que l’on appelait le «nouveau centre» et s’est clairement positionné plus à droite. Il a considéré que sa tâche principale était de poser des garde-fous sociaux au programme de démantèlement néolibéral, vu comme inéluctable, et ce souvent dans le cadre de coalitions avec le parti de la droite libérale VVD. Indépendamment de ce qu’il faut penser de cette attitude sur le fond, ce virage à droite l’a poussé en fin de compte dans un gouffre électoral. Déjà lors des élections de 2002, le PvdA était passé, en raison de sa politique de droite, de 28,9% à 15,1% des suffrages. 

Par la suite, les résultats s’étaient un peu améliorés, jusqu’aux élections du 15 mars 2017 où le PvdA, autrefois fier représentant de la social-démocratie néerlandaise, a obtenu un score catastrophique de 5,7% des voix! Le célèbre terme, parfois utilisé pour expliquer ce résultat, de «pasokification» n’est en réalité pas pertinent. Le PASOK grec, malgré un discours radial, n’était que le véhicule électoral de l’élite grecque gouvernant sur une base clientéliste. Sa tradition ne remonte qu’aux années qui ont vu la reconstruction de la démocratie grecque après la dictature militaire sanglante des années 1967-1974. Ses racines ne remontent pas au mouvement ouvrier social-démocrate historique. La défaite du PvdA est donc beaucoup plus sérieuse et démontre, de manière dramatique, ce qui peut se passer lorsque des ministres d’un vieux parti ouvrier perdent de vue d’où elles et ils viennent et ce qu’est la mission de leur parti. Le PS Suisse aurait pu, depuis les années 1980, suivre le même cours que le PvdA. Il n’est pas exclu que ce choix pût être électoralement porteur à court terme. Mais le destin tragique du PvdA montre que ce chemin n’aboutit à rien à moyen terme.

Lieux communs et formules creuses

Le papier de la «plate-forme réformiste» est formulé en des termes très défensifs, ce qui tient peut-être aussi au fait que le bilan de l’aile droite de la social-démocratie à l’étranger n’est pas brillant. Beaucoup des propositions qui se trouvent dans ce papier ne devraient, du moins à première vue, pas susciter de débats à l’interne. On peine à comprendre pourquoi il faut pour cela un papier d’une aile structurée au sein du parti. On ne sait pas qui, au sein de la gauche suisse, s’oppose à ce que «le système de formation offre plus de passerelles» ni à ce que les assurances sociales doivent tenir compte de «relations de travail de plus en plus arrangées de manière individuelle et flexible». Ainsi, dans ce dernier point, se pose la question de savoir si une grande partie de ces relations de travail ne devraient pas être décrites non pas au moyen de termes connotés positivement comme «flexible» et «individuel», mais par des termes comme «sous-emploi», «fausse·aux indépendant·e·s» ou encore «précarité». Il est encore plus problématique d’utiliser des formules creuses qui sonnent bien dans le plaidoyer pour une «meilleure coordination et simplification des différents systèmes de sécurité sociale». Beaucoup de choses peuvent se cacher là derrière: on peut vouloir élaborer un système de sécurité sociale universelle sur le modèle scandinave ou alors plutôt vouloir favoriser un nivellement vers le bas. Il ne faut pas oublier que la contre-réforme «Hartz IV» de la coalition SPD-Verts en Allemagne a d’abord été promue au moyen de déclarations d’intentions similaires avant de provoquer les pires résultats de l’histoire de la gauche allemande.

Prises de position idéologiques au lieu de projets concrets

La lecture du papier fait encore ressortir un autre trait significatif. Il a un caractère idéologique très marqué. Le papier recourt à des éléments de rhétorique que, pour la plupart, on n’a jamais associés jusqu’à présent à la social-démocratie, mais plutôt aux courants issus de la démocratie chrétienne ou du libéralisme. Dans les débats à mener avec les promotrices·eurs de la plate-forme, on devrait chercher à savoir plus précisément pourquoi elles et ils font usage de ces termes: veulent-elles-ils donner à ces termes couramment associés aux positions bourgeoises un nouveau contenu «de centre gauche»? Ou s’agit-il au contraire de se démarquer fondamentalement des convictions de base et des buts essentiels de la social-démocratie?

Ces convictions et buts sont fondés, dans le programme du PS Suisse comme dans celui du SPD, dont personne ne soupçonne qu’il s’agisse d’un parti d’extrême gauche, sur le «socialisme démocratique». Ce terme était par le passé aussi utilisé par des socialistes «de droite» qui voulaient se démarquer du modèle autoritaire du communiste d’État. On ne le trouve pas une seule fois dans le document de la «plate-forme réformiste». Dans un commentaire posté sur le profile Facebook du groupe, l’ancien président des CFF Benedikt Weibel écrit même qu’il soutient la plate-forme réformiste «parce qu’il est social-démocrate (…) et pas socialiste».  Cela montre à quel point le cadre de référence de la politique établie penche à présent vers la droite. C’est étonnamment aux États-Unis que l’on a pu voir, l’année dernière, à quel point cette appréciation était fausse, et ce également pour un électorat de centre gauche. Il est connu que les États-Unis sont le seul pays capitaliste industrialisé avec une constitution démocratique où la social-démocratie n’est jamais parvenue à devenir une force politique déterminante. C’est cependant dans ce pays que Bernie Sanders, qui n’est pas un extrémiste de gauche, mais un socialiste sûr de ses positions, a mené une campagne touchant un large spectre d’électrices et d’électeurs, la plupart jeunes, en se désignant comme socialiste démocratique.

Démocratie économique ou «économie sociale de marché»?

On peut relever que le papier de la droite du parti accorde une place centrale au concept «d’économie sociale de marché». Dans l’amendement de renvoi de Pascale Bruderer déjà, ce terme était opposé à celui de «démocratie économique». Probablement sans en être totalement conscient·e·s, les auteur·e·s ont ici repris un slogan qui était utilisé, en République fédérale d’Allemagne de l’après-guerre, par la CDU contre le SPD et les syndicats. Ce terme, rarement utilisé en Suisse, était à l’origine influencé par des économistes allemands néo- ou ordolibéraux (Ludwig Erhard, Walter Eucken et Adolf Müller-Armack). Ils essayaient par-là de justifier le fait que le «miracle économique» allemand de l’après-guerre reposait sur une politique économique libérale conservatrice. En réalité, ce sont surtout les investissements du plan Marshall — reposant sur des bases keynésiennes — et le rôle accru des syndicats dans le sillage de la défaite du fascisme, qui ont joué un rôle déterminant dans ce processus.

Ce n’est que durant ces dernières décennies que les éléments les plus extrémistes ont pris le pouvoir parmi les forces néolibérales, et ce terme est ainsi de plus en plus récusé dans ces cercles. Ainsi, l’ancien président tchèque Vaclav Klaus, qui évolue de plus en plus dans les cercles de la droite extrême, utilise le terme néolibéral «d’économie de marché sans adjectif». Les propagandistes néolibérales·aux de «l’économie sociale de marché» se sont fait·e·s les opposant·e·s les plus agressives·fs du modèle allemand de participation des employé·e·s. C’est pour cela que jusque dans les années 1990, le SPD et l’Union syndicale allemande évitaient de parler «d’économie sociale de marché». Que le «modèle économique» allemand soit à présent associé à ces deux termes à l’origine contradictoire est donc une ironie de l’histoire.

Si l’on se rappelle quelle était la position des signataires du manifeste du Gurten sur la question de la libéralisation du marché de l’électricité, on ne peut que se réjouir de ce que le papier indique que les «monopoles d’État» sont «efficaces et adéquats pour assurer l’approvisionnement de base de la population en termes d’infrastructures». Il est cependant frappant que le papier n’utilise que les termes, fortement connotés idéologiquement, de «marché» et «État». Comme l’a montré la chercheuse en sciences sociales anglaise Diane Elson dans ses réflexions très originales sur la «socialisation des marchés», le rôle de ces deux pôles a tendance à être surestimé lorsque l’on parle de politique économique démocratique. Le secteur intermédiaire entre ces deux pôles, où l’on trouve essentiellement des coopératives, des associations et d’autres institutions fondées sur le bien commun, joue un rôle toujours plus important pour l’emploi et l’approvisionnement en biens et services. Le papier du PS Suisse sur la démocratie économique souligne fortement l’importance de ce secteur.

Dans ce contexte, on peine à comprendre pourquoi, dans son amendement de renvoi, le groupe formé autour de Pascale Bruderer reprochait à ce document d’être fondé sur un «concept dirigiste». Il était sans doute plus juste de reprocher au papier d’ignorer que «l’ancienne revendication toujours renouvelée d’une “économie solidaire” (…) ne touche que marginalement les cinq millions de salarié·e·s dans une économie suisse hautement développée et globalisée». On aurait sans doute pu reprocher au document sur la démocratie économique, dans une perspective de gauche, de trop se concentrer sur les expériences coopératives et trop peu sur les questions des structures de pouvoir économiques et leur démocratisation. Jusqu’à un certain point, il était justifié que l’amendement de renvoi mette en garde sur le fait que l’utilisation des fonds des caisses de pension pour rediriger l’économie était sans doute une illusion. Il est d’autant plus dommage que le document de base de la «plate-forme réformiste» ne concrétise pas cette critique et se limite à en appeler au concept, fortement influencé par la droite bourgeoise, «d’économie sociale de marché».

Un des éléments centraux de l’amendement de renvoi était que le document sur la démocratie économique ne «se concentrait pas assez sur les chances et les défis de la société digitale». On ne peut nier que cette critique était partiellement justifiée, même si on peut se demander si ces questions ne devraient pas être traitées dans un document qui leur soit spécifiquement consacré. Mais là aussi, le papier de base de la «plate-forme réformiste» se révèle décevant: au-delà des revendications — consensuelles dans le parti et formulées en des termes très généraux — portant sur la formation professionnelle et la politique sociale, on ne trouve rien à ce sujet. On pourrait penser que la demande de réduction du temps de travail ne devrait pas faire de débats au sein de la social-démocratie, tous courants confondus. Au moins, le document sur la démocratie économique, tant décrié par les «réformistes», rappelle que développer les coopératives est une réelle alternative aux tendances de la société digitale qui, sous le terme trompeur de «économie collaborative», recourt de plus en plus aux statuts précaires de fausses·aux indépendant·e·s.

Un «partenariat social» dans les syndicats?

Jusque dans les années 1980, le courant que l’on qualifie aujourd’hui d’aile droite du parti était fortement représenté dans certaines parties des syndicats. Comme c’était déjà le cas avec le manifeste du Gurten, on constate que la plate-forme réformiste a aujourd’hui totalement abandonné ces liens. Mis à part Daniel Jositsch — président de la société des employé·e·s de commerce, qui ne fait certes pas partie de l’USS, mais qui est une importante organisation représentant des employé·e·s — aucun·e camarade active-f dans les syndicats ne fait partie des initiant·e·s de la «plate-forme réformiste».

Pour cette raison également, il est étonnant que le «partenariat social» soit un autre des concepts clés du document de base. On peut en effet lire ce qui suit dans le papier: «Nous soutenons le partenariat social. Dans la mesure du possible, les conflits doivent être résolus par le partenariat social. Nous sommes convaincus que le succès du système économique suisse réside en ceci que des compromis peuvent être trouvés entre les intérêts des employé·e·s et des employeuses·eurs».

Longtemps, le terme de «partenariat social» n’a pas été utilisé par les socialistes et les syndicats libres. Konrad Ilg (1877-1954), président de la FTMH en 1937, était l’instigateur principal de «la convention dans l’industrie des machines» qui a donné lieu à l’instauration de la «paix du travail». Il s’agit de l’un des principaux symboles du système suisse régissant les rapports entre les actrices·eus du marché du travail, fondé surtout sur la négociation beaucoup plus que sur les conflits du travail. Il est intéressant de relever que Konrad Ilg, qui appartenait clairement, à l’époque, à l’aile droite de la social-démocratie, n’a jamais parlé de «partenariat social», mais souvent de «partenariat conventionnel». Il voulait indiquer par-là que les compromis entre les associations représentants les intérêts opposés du capital et du travail requerraient toujours que les deux parties y adhèrent.

Le papier ne dit jamais quels seraient les cercles qui remettraient en cause les conventions collectives de travail et les solutions négociés. On sait toutefois qu’il s’agit presque toujours des partisan·e·s de la ligne dure au sein du bloc bourgeois qui veulent imposer leur vision des rapports sociaux. À l’avenir également, les progrès sociaux nécessiteront toujours que l’on parvienne à infléchir les rapports de force en faveur des travailleuses·eurs et des employé·e·s. Il sera donc toujours nécessaire que les syndicats démontrent leur capacité de mobilisation. S’il devait y avoir une fois réellement une grève — ce qui n’est que rarement le cas en Suisse —, ce seront justement les entreprises qui refusent de reconnaître les syndicats (contrairement à ce qui est l’usage dans le cadre d’une politique de «partenariat social») qui reprocheront aux grévistes de contrevenir au «partenariat social». On ne peut qu’espérer que les camarades de l’aile droite de notre parti sauront dans ce cas de quel côté elles et ils se tiendront à l’avenir (rédigé par Adrian Zimmermann, le 17.03.2017, puis traduit par Arnaud Thièry, le 19.03.2017).


Crédits image : Clayton Malquist sur Unsplash.

Soutenez le journal, abonnez-vous à Pages de gauche !

webmaster@pagesdegauche.ch