Je suis grosse, ou le dessin comme exutoire

Léonore Vuissoz •


Je suis grosse est un récit autobiographique de soixante-quatre pages en noir et blanc qui nous invite à nous plonger dans le quotidien de Marina König, jeune artiste et webdesigner fribourgeoise. Celle-ci livre plusieurs épisodes marquants de sa vie en lien avec son surpoids, qui la suit depuis ses plus jeunes années. D’abord réalisé dans le cadre de son travail de bachelor pour Ceruleum, école d’arts visuels lausannoise, son témoignage a ensuite été publié ce printemps par les éditions Antipodes.

Entre les moqueries à l’école, le manque de compréhension de l’entourage ou les régimes impossibles, l’enfance de Marina est racontée sous un prisme douloureux, celui de la violence rencontrée par les personnes dont le corps est considéré comme «hors-normes». Malheureusement, cette situation ne s’atténuera pas une fois adulte, comme elle en fait l’expérience avec son médecin par exemple, qui refuse de l’écouter quand elle tombe malade et fait systématiquement allusion à son poids. Une réalité souvent ignorée, illustrée avec un trait simple mais percutant, et qui pousse à s’interroger sur ce qu’est la grossophobie.

En effet, les discriminations envers les personnes grosses sont un sujet de société encore tabou, qui peine à trouver une légitimité auprès des institutions publiques ou médicales. Pourtant, ses conséquences sur la vie et la santé des individus sont multiples : harcèlement, baisse de l’estime de soi, troubles alimentaires, mauvais diagnostic médical… Les expériences que Marina décrit avec justesse dans son livre sont partagées par de nombreuses personnes. C’est d’ailleurs en cela que réside la force de l’œuvre, car elle permet aux lectrices·eurs concerné·e·s par la thématique de se reconnaître dans chacune des cases, non sans rire (jaune) devant les réparties sarcastiques que l’autrice assène à ses différente·s interlocutrices·eurs à la «bienveillance» plus que discutable.

Finalement, l’artiste nous livre une première œuvre personnelle et crue sur un sujet qui semble continuer de lui mener la vie dure, mais sans jamais chercher la pitié de son public. Au contraire, comme elle le signale dans les dernières pages de l’ouvrage, c’est la création du roman graphique et le recours à l’humour ou l’autodérision qui lui permettront peut-être d’aller mieux. Un questionnement légitime, qui a déjà su convaincre les critiques au vu des retours très positifs de la presse romande cet été.

À lire : Marina König, Je suis grosse, Lausanne, Antipodes, 2020.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 178 (hiver 2020-2021).

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