Que la situation politique italienne soit inquiétante, personne n’en disconviendra. Que le Partito democratico (PD, le principal parti de gauche) en soit l’un des premiers responsables, voilà qui doit également être reconnu. Ce dernier, et notamment son premier secrétaire Pier-Luigi Bersani, a tout de même réussi l’exploit de donner raison à la fois à Berlusconi, en montrant que la gauche était incapable de constituer un gouvernement, à Monti, en légitimant au final l’insupportable notion de «gouvernement technique», et au mouvement de Beppe Grillo, en prouvant une fois de plus l’endogamie de la classe politique italienne. Alors que la victoire de la gauche semblait acquise quelques mois avant les élections, nous nous trouvons maintenant dans la situation proprement ahurissante où le résultat le plus probable des prochaines élections sera une nouvelle victoire des troupes de Berlusconi!
Durant les semaines qui ont suivi les élections, lors desquelles aucun des partis n’a obtenu de majorité dans les deux chambres du parlement, Bersani n’a semblé être mû que par un seul objectif: garder le pouvoir. Cela l’a conduit à jouer son va-tout en présentant pour le poste de Président de la République un ancien membre de la démocratie chrétienne convenant à Berlusconi. Cela a précipité l’éclatement du PD, dont des franges importantes ne supportent pas l’idée de s’allier avec l’ancien président du Conseil, sans parler de la colère du Mouvement 5 étoiles (Grillo) et, sans doute, de bon nombre d’électrices et d’électeurs de toute la gauche.
Maintenant que le vieillard Napolitano, un ancien communiste, a été réélu (fait inédit depuis la création de la république en 1947) à presque 88 ans à la présidence de la République, un nouveau gouvernement technique a été constitué le 27 avril sous la présidence d’Enrico Letta, rassemblant des représentant·e·s du PD, du parti de Berlusconi ainsi que des «personnalités» comme l’ancien directeur de la Banque d’Italie. En ce qui concerne Bersani, ses atermoiements et son incapacité à comprendre que la vie politique italienne devait être changée en profondeur n’ont eu qu’une conséquence qu’on ne peut pas complètement regretter: son échec et son départ (du moins provisoire) de la scène politique.
Pour la gauche, ce qui s’est passé depuis les élections est proprement catastrophique. Sans compter l’éclatement du PD et une très probable défaite au prochain scrutin, cela montre que ce parti était prêt à se rallier au programme appliqué par Mario Monti depuis deux ans, à savoir l’inféodation à peu près complète aux volontés de la Commission européenne et à sa désastreuse politique d’austérité. En attendant et de manière bien compréhensible, une partie de plus en plus importante de la population gronde face à cette politique et à ses effets, et pour l’instant seul le Mouvement 5 étoiles lui offre une issue électorale. Qu’adviendra-t-il de ce dernier, alors même que son intransigeance durant les deux derniers mois semble aussi l’avoir affaibli (comme de récentes élections régionales en Frioul-Vénétie julienne l’ont démontré).
Ces moments de désorientation complète des partis politiques et d’extrême volatilité de l’électorat sont, comme on sait, propices à toutes les surprises, y compris les plus mauvaises. Il reste à espérer que la gauche italienne retrouve rapidement ses esprits, propose un véritable programme de gauche en sortant de l’austérité voulue par Bruxelles et la BCE et refuse clairement tout arrangement avec la droite. Et si cela doit passer par la démocratisation radicale de la vie politique demandée par le Mouvement 5 étoiles, et bien qu’elle ose le faire! Ce ne peut pas être plus ridicule que de faire alliance avec Berlusconi.
Antoine Chollet