Introduction au dossier sur la neutralité

La rédaction •

Avec la sortie du numéro 186 de Pages de gauche dont le dossier est consacré à la neutralité, Pdg publie en libre-accès l’introduction de ce dernier afin d’en donner un aperçu. Pour recevoir le numéro en entier et soutenir une presse de gauche indépendante, abonnez-vous!


Innombrables sont les domaines dans lesquels la neutralité semble être la vertu cardinale d’action. Les médias devraient être neutres, les associations aussi, tout comme l’enseignement, la science, les techniques ou l’État. Or ces injonctions posent problème, car elles sont soit imprécises soit insensées.

Commençons par le second cas. Exiger une neutralité des médias ou des associations, c’est nier leur caractère politique. C’est penser que toute valeur pourrait en être extirpée tout en préservant leur activité, alors que c’est cette activité même qui est une valeur (et qui est attaquée à ce titre par des adversaires qui en ont parfaitement conscience). Le long combat pour la liberté de la presse ou la liberté d’association en est le témoin, tout comme la lutte permanente pour l’existence de services statistiques fiables. La neutralité stricte consisterait à éditer un journal qui ne soit ni pour ni contre son existence ou celle des autres médias, et qui s’interdirait d’intervenir lorsque la liberté de la presse serait attaquée. Dans ce cas, l’idée de neutralité est tout simplement absurde.

L’idée d’une neutralité d’un État sur la scène internationale ne l’est pas moins; nous sommes bien placé·e·s pour le savoir en Suisse. La neutralité a été imposée au pays de l’extérieur, pour des raisons stratégiques étrangères à la politique suisse, avant que les gouvernements successifs ne s’en emparent et en fassent une valeur patriotique. Être neutre a toujours signifié, pour les autorités suisses, se ranger du côté du plus fort, une attitude qui les ont conduites aux indignités que l’on sait.

La plupart du temps cependant, la neutralité est une notion trop floue pour pouvoir être utilisée de manière pertinente. Elle doit alors être remplacée par d’autres idées, auxquelles il convient de donner un contenu précis. Dans la presse, dans la recherche scientifique, dans l’enseignement, contester la possibilité d’une activité neutre ne signifie pas en effet que l’on puisse faire n’importe quoi et que toutes les manières d’exercer ces professions se valent. On peut alors parler d’impartialité, de rigueur, d’honnêteté, de transparence ou de déontologie. Ce sont des notions qui, de cas en cas, semblent plus adéquates pour décrire l’idéal à viser.

Le dossier de ce numéro explore quelques-unes de ces utilisations frelatées de la notion de neutralité, et s’attache à montrer qu’elles ne visent généralement qu’à défendre l’ordre en place.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 186 (hiver 2022-2023).

Crédit image: Azzedine Rouichi sur Unsplash.

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