Habiter autrement: logements solidaires et coopératifs

Hervé Roquet •

Le logement est devenu une marchandise alors que c’est un besoin vital et un droit fondamental. Tout comme le sol, le logement se vend, se loue et s’achète sur le marché. Ce n’est pas nouveau, mais néanmoins lourd de conséquences et en particulier sur le quotidien et le tissu social.


Le problème le plus évident du logement devenu marchandise est d’abord pour ceux et celles qui ne peuvent trouver de logement abordable et digne en raison de leur faible niveau de revenu. Ces personnes perdent l’accès à un droit humain en raison du marché de l’habitat qui de facto produit leur exclusion. Cependant, les conséquences les plus larges du logement-marchandise sont moins évidentes, car elles se font sur le quotidien de toutes et tous.

En effet, habiter un lieu qui appartient bien souvent à un·e inconnu·e que nous payons mensuellement pour utiliser son bien immobilier affecte considérablement le quotidien. Le fait de ne posséder ni individuellement, ni collectivement son logement, place par exemple les locataires dans la quasi-impossibilité de modifier, réorganiser, transformer leur lieu de vie principale. Les conséquences sont cependant plus vastes, car la manière d’être en relation avec ses voisins, ses colocataires ou les habitant·e·s du quartier où l’on vit est elle aussi affectée négativement. L’architecture du bâtit vient renforcer encore ce phénomène en produisant des logements essentiellement pour individus seuls, en couples ou en familles, mais rarement des logements pour des collocations ou d’autres formes d’habitats collectifs. Le logement-marchandise atomise ainsi au quotidien le social et limite par ce fait les conditions d’émergences de la solidarité, de l’engagement social et politique, et plus largement du vivre ensemble de qualité.

Fort heureusement, même dans le marché du logement actuel, le social résiste. Comme la crise du covid-19 a pu le démontrer, l’organisation solidaire au niveau du quartier et de l’immeuble reste possible. Toutefois un constat reste: l’organisation solidaire des immeubles et quartiers n’est que peu favorisée par la loi ou les politiques publiques.

En effet, la protection des locataires qu’offre la loi, bien que louable, ne va pas assez loin puisqu’elle se contente surtout de protéger les locataires contre les comportements abusifs des propriétaires et les loyers trop élevés. La loi ne prévoit pas grand-chose pour permettre l’action collective de locataires d’un immeuble qui souhaiteraient par exemple réorganiser et modifier leur immeuble et son fonctionnement. Faciliter l’accès à la propriété individuelle n’est bien sûr pas la solution, mais étendre les droits des locataires pour inclure des possibilités de gestions collectives des biens loués doit être rendu possible. Quant aux politiques publiques de logements, elles existent, mais la plupart des communes ayant vendu une grande partie du terrain qui leur appartenait, celles-ci ont perdu leur levier principal d’action. L’usage grandissant du droit de superficie ou encore, dans le canton de Vaud, dans l’utilisation des possibilités offertes par la récente LPPPL (voir encadré ci-dessous) permet de garder espoir sur les futurs développements.

Les exemples d’alternatives aux habitations marchandises existent aussi en nombre, en particulier sous la forme de coopérative d’habitations (voir Pages de gauche 164 pour une analyse plus approfondie). Il y en a environ 2’000 en Suisse, pour environ 185’000 logements, soit 5% du total.

Elles apparaissent clairement comme une manière convaincante de produire de l’habitat qui soit à la fois plus abordable (grâce au loyer au prix coutant), plus sociale (grâce aux interactions et tissu social qu’elles favorisent) et plus écologique (grâce à la mise en commun de bien et de véhicules). Le parc immobilier suisse étant géré essentiellement par un nombre de plus en plus restreint de grands investisseurs privés, l’enjeu politique de la création de logements véritablement sociaux, participatifs et solidaires se fait de plus en plus pressant. Les municipalités de gauche doivent agir. Maintenant.

LPPPL
Dans le canton de Vaud, la récente loi sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL) est un exemple réjouissant d’une législation efficace et de gauche pour lutter non seulement contre la pénurie de logements (en particulier de logements abordables), mais aussi contre les investisseurs immobiliers et leurs profits indus. Voir à ce sujet Pages de gauche 163. Cette loi autorise notamment les communes à acheter des immeubles de manières préemptives pour en faire de logement d’utilité publique. Lausanne a inauguré ce droit en rachetant la villa de Montagibert début 2020 en passant devant un médecin fortuné qui voulait en faire son bien. Cependant, cette loi ne s’arrête pas à la préemption puisqu’elle facilite notamment la construction par les communes de logement à loyer abordable et permet nouvellement aux communes de fixer un quota de logement d’utilité publique dans les nouveaux plans d’affectation. Véritable outil de politique de logement pour les communes, cette loi doit servir d’inspiration pour les autres cantons ne bénéficiant pas d’outil comparable.

Crédit image : « Housing » par « jonasosthasse » sous licence CC BY-ND 2.0.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 176 (été 2020).

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