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Des votes contrastés

Les votations de ce dimanche 3 mars nous ont donné plusieurs occasions de nous réjouir. Qu’il s’agisse de l’introduction d’un salaire minimum dans le canton du Jura, du rejet par les citoyen·ne·s schaffhousois·es d’une baisse d’impôts proposée par la droite, du refus d’organiser les Jeux Olympiques d’hiver dans les Grisons ou, malgré tout, du bon résultat de la fusion des caisses de pension dans le canton de Genève, nous avons eu des motifs de satisfaction. Il y a aussi, bien sûr, le très beau succès de la LAT. Que 62% des Suisses acceptent une loi qui, dans sa version allemande, parle de planification, cela tient presque du miracle.

Nous nous étions moqués de l’article constitutionnel sur la famille dans notre numéro de février ; son rejet – fût-ce par cette étrange majorité des cantons – ne nous chagrine donc pas outre mesure. Ce texte d’intention aurait permis à la majorité de droite et suisse alémanique des chambres fédérales d’imposer ses vues sur la question de la politique familiale. N’oublions pas non plus que le texte lui-même a été proposé à l’origine par le PDC. Nos lectrices et nos lecteurs savent les réserves que nous avons face aux politiques familialistes, et cet échec est pour nous l’occasion de rappeler qu’une politique visant à l’égalité entre hommes et femmes n’a pas vocation à être une politique familiale, laquelle peut même parfois se transformer en son exact contraire.

Venons-en maintenant à l’objet qui a rédimé la Suisse aux yeux du monde entier. Coupable qu’elle avait naguère été d’interdire les Minarets, elle devient aujourd’hui un modèle de démocratie à imiter d’urgence en acceptant de limiter les rémunérations des patron·ne·s. Ce soutien inconstant à la démocratie ne nous étonne guère, mais ne laisse pas augurer de sentiments très solides à son égard. On n’apprécie jamais autant la démocratie directe que lorsqu’elle va dans notre sens, mais c’est bien dans les cas contraires que l’on reconnaît ses vrai·e·s avocat·e·s.

La défaite massive, incontestable, colossale, d’economiesuisse et de toute la droite suisse sur l’initiative Minder est, évidemment, un point important. Mais, comme nous l’avons déjà dit, ce ne signifie pas pour autant qu’il faille l’interpréter comme une victoire pour la gauche.

Tout d’abord : le fond. L’initiative Minder ne règle aucun problème d’un point de vue de gauche. La soi-disant « démocratie actionnariale » qu’elle cherche à renforcer est bien évidemment aussi « démocratique » que les « démocraties populaires » de jadis l’étaient. On est bien loin de la démocratie économique dont parle le programme du PSS. Envisager une démocratie à l’intérieur d’une entreprise, c’est faire participer directement les salarié·e·s à sa politique, non les actionnaires. Cette dernière version n’est que la définition classique du capitalisme ; Minder n’a rien inventé… De plus, cette mal nommée « démocratie actionnariale » a bien plus sûrement fait exploser les rémunérations des patron·ne·s depuis dix ou vingt ans qu’elle ne les a limitées. L’un et l’autre phénomènes sont liés, presque personne ne l’a relevé durant la campagne. On le constatera lorsque les premières assemblées générales qui devront se plier aux règles fixées par l’initiative Minder voteront des « rémunérations abusives ».

Ensuite : la tactique politique. Qu’une bonne partie de la gauche, et en première ligne le PSS, ait senti l’odeur du sang et se soit jointe à l’hallali contre les patron·ne·s, passe encore. Mais qu’elle l’ait fait en prétendant que c’était aux propriétaires d’une entreprise de décider de la rémunération de sa direction, voilà qui est désastreux. Cela signifie premièrement qu’en bonne logique, ces mêmes propriétaires doivent tout aussi souverainement décider des rémunérations de tou·te·s leurs salarié·e·s, et qu’il est donc injustifié de leur imposer des règles à ce sujet. Un salaire minimum ? Le paiement de cotisations patronales ? La compensation du renchérissement ? Vous n’y pensez pas, voyons, ce serait enfreindre le sacro-saint pouvoir des propriétaires de l’entreprise ! De là à penser que les actionnaires des grandes entreprises suisses seraient des éléments de l’avant-garde du prolétariat, comme n’étaient pas loin de le prétendre Levrat et consorts, il n’y a qu’un pas.

Pire, en mélangeant savamment les références à l’initiative Minder et à l’initiative 1:12 de la Jeunesse socialiste suisse (JSS), on a entretenu la confusion. Sans même parler des risques bien réels que les citoyen·ne·s, lorsqu’il s’agira de voter sur cette dernière, considérerons que les règles prévues par Minder son suffisantes, le fait d’affirmer que ces deux initiatives partagent en définitive les mêmes objectifs révèle un état de confusion politique assez inquiétant. Rappelons deux des différences qui nous paraissent les plus importantes : premièrement, alors que la JSS s’appuie sur la constitution et la loi pour imposer des règles à l’intérieur de toutes les entreprises, Minder laisse ce pouvoir aux seuls actionnaires, et deuxièmement, il s’agit dans un cas de rééquilibrer les salaires de l’entreprise entre eux, et singulièrement entre les plus bas et les plus élevés d’entre eux, et dans l’autre d’augmenter les bénéfices, et donc les dividendes, de l’entreprise. Comment peut-on penser une seule seconde que ces deux textes émanent d’une même logique politique et poursuivent les mêmes fins ? Après avoir vilipendé depuis vingt ans le « capitalisme financier » et le « pouvoir des actionnaires », quel étrange retournement que celui qui s’est opéré dans une frange de la gauche suisse. Ces assemblées assoiffées de dividendes et de taux de profits à deux chiffres se sont miraculeusement muées en chantres de la gouvernance d’entreprise, de la modération salariale et de la démocratie presque directe.

Bien sûr, beaucoup ont voté pour l’initiative Minder par mauvaise humeur envers les « super managers » obscènement payés et tout ce qu’ils (et plus rarement elles) représentent. C’est d’ailleurs ce qui a été retenu dans la presse suisse et internationale, et cela témoigne d’un agacement envers le système économique et ses effets qui pourrait avoir des conséquences profondes. Encore faudrait-il lui offrir des occasions de s’exprimer qui ne le travestissent pas !

La rédaction

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