Dédiabolisons l’inflation

Joakim Martins •

En 2019, la dette brute de la Confédération suisse s’établissait à 96,9 milliards de francs suisses. Le taux d’endettement (la dette exprimée en pourcentage de PIB) était lui légèrement inférieur à 14%, un taux excessivement bas en comparaison internationale.


Au lieu de célébrer la «bonne gestion fédérale des comptes», la gauche ferait bien de rappeler que ce faible endettement est la conséquence d’une austérité imposée depuis désormais des décennies à l’administration fédérale ainsi que d’un report massif des charges sur les cantons.

Entre-temps, le coronavirus a débarqué en Suisse et la Confédération est fortement intervenue dans l’économie. Étant donné que les recettes de l’État fédéral ont diminué en raison de la baisse de la production, et du report, voire de la suspension de certains impôts et qu’en même temps ses dépenses ont explosé avec le sauvetage des assurances sociales et des entreprises, les dettes souscrites par l’État suisse prendront certainement l’ascenseur. Le «grand» argentier de la Confédération, Ueli Maurer, a récemment estimé, dans une interview accordée à l’ATS, que ces dernières pourraient croître de 30 à 50 milliards de francs suisses, soit une augmentation de 50%.

Inquiétante dette et promesses d’austérité

Cette brusque augmentation des dettes fédérales, bien qu’elle soit nécessaire à bien des égards, doit préoccuper la gauche. Tant qu’il sera interdit à la Confédération d’emprunter à la Banque nationale suisse (BNS), celle-ci devra pour emprunter de l’argent se tourner vers le marché obligataire. L’État se verra ainsi détroussé par les plus riches. En effet, les riches épargnant·e·s, qui ont vu leur taxation fortement réduite ces dernières décennies, pourront donc le devenir encore plus en prêtant avec intérêt (en admettant que ceux-ci ne soient plus négatifs en raison de l’augmentation de l’offre obligataire) à la Confédération de l’argent qui auparavant était prélevé par l’impôt. Dans l’entretien précédemment cité, le Conseiller fédéral UDC indique également que le remboursement de la dette pourrait prendre 25 ans, qu’un «programme d’économies» (une nouvelle cure d’austérité) pourrait être mise sur pied en 2022, frein à l’endettement oblige, et «qu’un moratoire sur de nouvelles dépenses pendant plusieurs années est d’autant plus important».

Réponses de gauche

Face au projet austéritaire promis par Ueli Maurer, dont les effets dévastateurs en matière d’inégalités sont bien connus, la gauche dispose de plusieurs cordes à son arc. La première consiste en un rachat massif de dettes publiques par la banque centrale. Dans les faits, la BNS achèterait des titres de dettes émis par la Confédération dans l’objectif de les répudier en les faisant passer en pertes et profit. Cette technique revient globalement à contourner l’interdiction faite aux banques centrales de prêter aux États. La seconde corde est celle de l’inflation. Cette dernière, qui peut être définie comme la perte du pouvoir d’achat d’une monnaie, permettrait effectivement d’alléger le fardeau de la dette publique et cela au détriment des prêteuses·eurs. Si la Confédération en collaboration avec la BNS décide de provoquer une «douce inflation» de 3-4% par an, par exemple à travers une augmentation contrôlée des salaires, la dette publique perdrait en une décennie 30 à 40% de sa valeur (certain·e·s économistes pensent même qu’une inflation de 8% serait soutenable). L’État fédéral rembourserait donc ses bailleuses·eurs de fonds avec une monnaie dont la valeur s’est érodée dans le temps. Un autre effet positif d’une telle stratégie est son caractère redistributeur. En effet, quand les plus aisé·e·s se font grignoter leurs fortunes, les plus défavorisé·e·s n’ont rien à craindre, car pour que sa fortune perde de sa valeur, il faut déjà en avoir une.

Pour une BNS démocratique

Cette réflexion démontre, une fois de plus, le caractère profondément politique de toute prise de décision économique et la nécessité de leur démocratisation. C’est pourquoi la gauche doit, à nouveau, revendiquer la démocratisation de la BNS, et donc la fin de son «indépendance», car actuellement de telles stratégies économiques dépendent du bon vouloir de cette clique d’économistes néo-libéraux, tous des hommes, ne devant rendre de compte à personne.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 176 (été 2020).

Soutenez le journal, abonnez-vous à Pages de gauche !

webmaster@pagesdegauche.ch