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Dans «Grève», il n’y pas que «rêve». Il y a réalité!

«Nous sommes sans vêtements; nous sommes sans boisson; nous sommes sans poisson; nous sommes sans fourrage. Nous avons faim. Nous avons soif.» Ce cri de révolte nous parvient de la lointaine Egypte. Inconscients d’entrer dans l’Histoire, les ouvriers du temple de Thèbes posent leurs outils et défient l’autorité du Pharaon. Un scribe consciencieux, en tenant la chronique de leur lutte, nous livre le premier témoignage écrit d’une grève… C’était il y a plus de 4000 ans.

De l’Egypte ancienne à l’histoire récente de notre société, il n’y a qu’un pas. Et si le rapport de subordination des travailleur•se•s à leur employeur a pris, dans les termes, un autre nom que celui d’esclavage, il n’en demeure pas moins que les luttes, et les raisons de lutter contre de nouvelles formes de domination patronale, sont toujours d’actualité. La grève est un de ces moyens de lutte, extrême peut-être, mais pas dogmatique. Elle est une réponse à des attaques parfois d’une violence inouïe contre les droits fondamentaux des salarié•e•s. Elle est un acte social, politique, courageux, et aussi donc humain.

Faire grève, c’est avant tout inverser le rapport de production capitaliste qui lie le travailleur à son emploi: on stoppe le processus de production, on décide librement de se réapproprier ses forces productives en ne les mettant plus au service de son employeur.

Faire grève, c’est également se réapproprier ce lieu si familier qu’est le lieu de travail. Au fil des discussions, des assemblées, des repas en commun, des ateliers ou des actions, il devient l’expression concrète du mouvement.

En ce sens, la grève est donc considérée comme la sublimation de l’action collective, un moyen de refuser l’inéluctabilité – en sous-bassement des revendications propres à chaque conflit – de la domination du travail par le capital. C’est un appel au respect, à la dignité de tout un chacun, des idéaux que le mode de production capitaliste bafoue depuis trop longtemps.

Dire des grévistes qu’ils sont des «tire-au-flanc» ou des «dogmatiques», comme le veut la novlangue patronale, revient à dénier les énormes difficultés qu’induit une telle décision, et insulter la capacité de décision et discernement des travailleur•se•s concerné•e•s.

Mais il faut se garder d’édulcorer le tableau: la grève n’est pas une fin en soi mais bien un moyen, qui a un prix, économique et humain. Ce d’autant plus qu’il n’existe bien entendu aucune garantie quant à l’issue d’un conflit, aussi âprement mené soit-il. Stress, tensions, pressions, ras-le-bol, crises de nerfs, peur. Autant de syndromes qui apparaissent lors d’un arrêt de travail, et qui font partie de la réalité quotidienne des grévistes.

Pourtant, lorsque les travailleur•se•s arrivent à venir à bout de ces craintes, celles-ci peuvent faire place à des sentiments et des émotions infiniment valorisants et gratifiants. Car c’est aussi au travers de la grève que se (re)développe une certaine solidarité entre salarié•e•s. On n’est plus des «collègues», on est avant tout des êtres humains poursuivant le même intérêt et défendant les mêmes droits. C’est dans ce nouveau rapport humain, où tou•te•s tirent à la même corde et sont dans le même bateau, que peut trouver un ancrage profond, un sentiment d’appartenance à une même classe, solidaire contre les injustices.

Il y a 90 ans – en novembre 1918 –, la Suisse vécut au rythme de la seule grève générale de son histoire. Pages de gauche saisit l’occasion de cet anniversaire pour questionner l’actualité de la grève comme moyen de lutte. Nous nous attachons tout d’abord à rappeler les événements de 1918 et à déconstruire le mythe d’une Suisse exempte de toute forme de conflits sociaux, havre de la paix du travail. Nous donnons ensuite la parole à des grévistes afin de percevoir la réalité de ce moyen de lutte et le rapport entre celui-ci et les travailleur•euse•s. Nous terminons enfin par cette interrogation: la manière de faire grève doit-elle changer pour être efficace dans l’économie capitaliste globalisée du XXIe siècle? Loin de la balancer, comme certain•e•s auraient tendance à le faire, dans les poubelles de l’Histoire, nous sommes persuadés que la grève sous toutes ces formes reste le moyen d’inverser – au moins provisoirement – les rapports de production qui régissent nos sociétés inégalitaires.

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