Coup de massue pour la gauche à Genève 

Thomas Bruchez (Vice-président de la JS suisse et candidat au Grand Conseil genevois) •

Le résultat était attendu, mais fait tout de même mal à voir: la gauche comptera 33 sièges sur les 100 que compte le Grand Conseil genevois durant la législature 2023-2028. Ce chiffre correspond à une perte de 8 sièges pour la gauche par rapport à la dernière législature et surtout à son deuxième plus mauvais résultat de l’histoire récente à Genève, derrière 2009.


Une gauche radicale divisée

Cette perte de sièges était attendue dans la mesure où la gauche radicale partait divisée. En effet, la gauche radicale n’est jamais parvenue à atteindre le quorum (antidémocratique) de 7% lorsqu’elle se présentait éclatée. La Liste d’Union populaire — composée de Résistons, scission de SolidaritéS regroupant une grande partie de l’ancienne députation d’Ensemble à Gauche au Grand Conseil, de membres du Parti communiste et d’autres militant·es — se présentait en effet en parallèle de celle d’Ensemble à Gauche (SoldiaritéS, Parti du Travail, DAL) sur fond de différends politiques, mais surtout de différends personnels, doublés de différends financiers provoqués par la scission. Le résultat est toutefois encore pire que ce qui se dessinait… Non seulement aucune des deux listes n’a atteint le quorum, mais leur score cumulé est de 6,63%, soit moins que le quorum. En guise d’explication, on pourrait penser à un «vote utile» en faveur des Vert·es et du PS. Or, si le PS a gagné de justesse un siège et que les Vert·es sont parvenu·es à se maintenir, les deux partis accusent une petite perte de suffrages. L’électorat de gauche radicale s’est peut-être simplement réfugié dans l’abstention, mais le plus probable est un report de voix de la gauche vers la droite.

Un glissement vers la droite

Du côté de la droite, l’immense surprise est venue de la liste Libertés et Justice sociale. Tirée par la locomotive Pierre Maudet, qu’aucun scandale politique et juridique ne semble pouvoir arrêter, la formation est parvenue à atteindre le quorum, déjouant ainsi tous les pronostics. De leur côté, le Mouvement citoyen genevois (MCG), que d’aucun·e·s voyaient disparaître du parlement, et l’UDC sont parvenus à gagner respectivement 3 et 4 sièges. L’amende aurait même pu être encore plus salée pour la gauche si les Vert’libéraux étaient parvenu·es à gratter le demi-point de pourcentage qui manquait à ce parti pour dépasser le quorum. Ces élections marquent donc un glissement de Genève vers la droite et même l’extrême droite.

Comment expliquer ce glissement politique vers la droite? Un facteur explicatif est certainement le Covid, qui a pu pousser d’ancien·ne·s électrices·eurs de gauche, aux positions «anti-vax» ou autrement confusionnistes, dans les bras du MCG et de l’UDC. La progression de l’UDC pourrait quant à elle notamment s’expliquer par sa nouvelle offensive raciste lancée dans le domaine de la migration, sur fond de guerre en Ukraine. Les deux partis se nourrissent certainement également du contexte de crises multiples dans lequel nous nous trouvons. Ainsi, l’UDC a fait du pouvoir d’achat son thème de campagne principal alors que le MCG a sans cesse souligné les problèmes — réels ou imaginaires — auxquels la population faisait face. Ces campagnes se nourrissant des problèmes matériels des gens (coût de la vie, logement, emploi) étaient doublées d’une rhétorique raciste et xénophobe prenant respectivement les frontalières·ères et les étrangères·ers comme boucs émissaires. Il convient néanmoins de mettre en perspective la croissance de ces forces réactionnaires: elle fait suite à une perte de 3 sièges pour l’UDC et même de 7 sièges pour le MCG en 2018. On a donc plutôt un retour à la situation du début de la première moitié des années 2010, marquée par le succès du discours xénophobe de l’UDC. L’abstention, en hausse d’un point et demi, n’a probablement pas joué en faveur de la gauche. En effet, la classe dominante ne manque jamais de se mobiliser pour assurer que ses intérêts soient défendus par le parlement, contrairement aux classes populaires.

Une défaite au pire moment

Ce résultat historiquement bas de la gauche arrive au pire moment. En effet, dans le contexte actuel de hausse de coût de la vie, d’attaques à l’encontre d’acquis sociaux et de backlash patriarcal et raciste, cette nouvelle majorité parlementaire écrasante de droite aura un impact désastreux sur le quotidien de nombreuses personnes précarisées et opprimées. C’est également une immense défaite pour la lutte contre la crise climatique. En effet, alors que cette législature était une législature-clé pour espérer pouvoir atteindre la neutralité carbone d’ici à 2030 et pouvoir mener une politique climatique sociale, elle sera au mieux une législature de l’immobilisme climatique, au pire une législature au service du capitalisme fossile.

Quelles leçons tirer de cette défaite historique?

La première leçon à tirer est que la gauche doit partir unie, sinon elle échoue. Et il n’est ici pas seulement question d’unité de la gauche radicale. La gauche doit réussir à construire une large union de gauche pour les prochaines élections cantonales, sur la base d’un programme commun. Ce n’est qu’en portant un programme commun avec une vision de transformation sociale cohérente que la gauche parviendra à mobiliser et à gagner. Dès demain, l’ensemble de la gauche doit se mettre autour de la table pour panser ses blessures et poser les bases de ce projet unitaire.

Deuxièmement, la gauche doit repartir à l’offensive et mener une politique d’opposition courageuse et efficace. Avec moins d’un tiers des sièges du Grand Conseil, l’espoir est mince que la gauche parvienne à construire quoi que ce soit comme majorité. En effet, la gauche ne peut plus obtenir de majorité en obtenant le soutien de la part d’un seul autre groupe politique. Il faudrait ainsi à la fois convaincre une majorité du MCG et du Centre, ou alors des membres de LJS, ce qui s’annonce extrêmement compliqué. La gauche doit donc se concentrer sur le travail militant, syndical et sur les votations. La gauche sait d’ailleurs gagner des référendums populaires. Ces dernières années, elle a notamment gagné sur le salaire minimum, sur l’indemnisation des travailleuses·eurs précarisé·es ou encore sur la recapitalisation de la Caisse de pension de l’État de Genève.

Tant la Grève féministe que la Grève du Climat ont su, pour leur part, organiser des manifestations immenses ces dernières années et participer à la politisation de nombreuses personnes. Les syndicats ont eux aussi su montrer leur force, avec notamment la grève des maçon·nes, mais bien sûr également la victoire sur le salaire minimum. Les projets de convergence ne manquent pas non plus, avec la Grève pour l’Avenir. C’est donc unie, dans la rue et avec des initiatives que la gauche doit savoir susciter l’espoir de la population et avancer dans son projet de transformation sociale, tout en combattant systématiquement les attaques de la droite par référendum.

Au Conseil d’État dans ce contexte — est-ce vraiment utile?

En ce qui concerne le Conseil d’État, PS et Vert·es ont su placer leurs 4 candidat·es parmi les 7 premières places — une première. Toutefois, Fabienne Fischer (5ème) et Carole-Anne Kast (7ème) sont talonnées par le candidat MCG Philippe Morel. Malgré les appels à l’unité de la droite, le maintien de la majorité de gauche, obtenue lors d’une élection complémentaire en cours de précédente législature, semble encore théoriquement possible. Mais est-ce vraiment souhaitable? Même en faisant abstraction du résultat d’hier au Grand Conseil, il est permis d’en douter. Même si l’on n’avait pas de grandes attentes en la matière — en raison de la majorité législative de droite, les deux années de majorité rose-verte à l’exécutif ont tout de même déçu, que ce soit avec l’invalidation de l’initiative pour des transports publics gratuits ou son manque de courage patent sur le dossier de l’asile. À présent, dans un contexte où la gauche n’a plus qu’un tiers des sièges au Grand Conseil, il est même souhaitable que la gauche n’obtienne pas de majorité au Conseil d’État. Cela constituerait un obstacle pour la politique d’opposition que la gauche doit maintenant mener, un frein à la formulation d’un programme commun de transformation radicale de la société — en opposition totale avec la politique actuelle de la droite.

Nous n’avons pas le temps de nous apitoyer sur notre sort. Tirons les leçons de la désunion de la gauche radicale et du manque de courage politique de la gauche gouvernementale et construisons ensemble une société solidaire, égalitaire et écologique!

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