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Contre la propriété intellectuelle, le service public

Plutôt que de laisser quelques nantis s’accaparer la propriété d’innovation et en tirer des profits indécents, il convient de créer un espace public de libre-circulation des idées et des procédés de fabrication.

Protéger la propriété intellectuelle, c’est garantir que l’innovation et l’invention continuent à fonctionner sur un mode capitaliste. Le processus industriel breveté, par exemple, constitue une part du capital servant à la production de ce qui pourra, ensuite, être vendu. Ni les livres, ni  les molécules ne se produisent d’elles-mêmes : il faut bien que des salariés travaillent pour que les merveilleuses idées deviennent réalité. Ainsi, les détenteurs de ces brevets, patentes et autres copyrights se voient promus au rang de rentiers. On peut d’ailleurs faire un étrange parallèle avec la crise économique actuelle: une fois encore, on privatise les profits et on nationalise les pertes. Tout ce qui est rentable sera développé par le secteur privé, forçant les pouvoirs publics à investir dans la recherche qui ne rapporte rien.

Faire primer l’intérêt public

Dans nombre de domaines, on voit se côtoyer financement public et privé de l’art, de la science ou de la technologie. La diversité des méthodes et des démarches qui en découlent est une richesse à préserver. Pour cette raison, tous les mécanismes de subvention publique de la création et de l’innovation devraient préserver cette diversité, de telle manière à remplacer par un vrai pluralisme la concurrence actuelle. Avec un bénéfice principal : l’appartenance automatique et directe au domaine public de tous les produits de ces activités.

On rétorquera peut-être que l’absence de récompense pour l’inventeur aurait vite fait de brider l’innovation. C’est objectivement faux. Actuellement déjà, un chercheur employé par une entreprise ne touche rien personnellement des profits engendrés par une invention brevetée à laquelle il aurait participé. De même, nombre d’avancées scientifiques ont été réalisées alors même que les individus à l’œuvre n’avaient aucune perspective d’en tirer le moindre profit personnel. En réalité, dans le monde actuel, l’innovation est déjà en grande partie le fait de salariés.

L’innovation partout

Ce sont au contraire les barrières liées à la propriété intellectuelle qui freinent massivement le progrès et sa diffusion, puisqu’elles restreignent à de petits groupes les découvertes qui pourraient être utilisées pour aller plus loin. Qui n’a pas entendu parler des rachats de brevets effectués pour tuer une technologie gênante, par exemple dans les énergies renouvelables? Ne pourrait-on pas améliorer les produits issus de l’industrie pharmaceutique, si tous les chercheurs du monde avaient accès à leurs secrets et avaient le droit de les utiliser?

L’un des avantages d’un engagement fort de l’Etat consisterait à redéfinir le concept de nouveauté d’une façon réellement utile. Modifier une infime partie d’un produit breveté dans le seul but de pouvoir déposer un nouveau brevet n’aurait plus de sens. L’innovation réelle émergerait bien plus clairement.

L’effet principal se trouverait pourtant ailleurs : dans la création d’un espace public de libre-circulation des idées, des inventions, des procédés de fabrication. L’abolition de la propriété intellectuelle signifierait l’avènement, dans cette sphère immatérielle, d’une gratuité au sens d’André Gorz, c’est-à-dire d’un nouveau type de rapports humains non-marchands – ou plus précisément libres et gratuits selon les deux sens du mot anglais free. Un tel changement ouvrirait ensuite la voie à la soustraction au capitalisme d’un nombre toujours croissant de domaines, à des échelles évidemment différentes : de même qu’il s’agit d’échanger mondialement ce qui se reproduit sans perte, il vaut mieux produire localement ce qui se consomme localement.

Alors que la pénurie de ressources pose problème, pourquoi limiter artificiellement certaines d’entre elles? Prenons enfin le problème par l’autre bout: considérons le travail de création, de recherche, d’innovation non sous l’angle de son résultat mais sous celui de l’activité qu’il représente. Et pour permettre enfin aux idées novatrices, aux inventions utiles, aux grandes créations de profiter au monde entier, remplaçons la propriété de quelques-uns par l’accès libre de tous.
 

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