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Commerce du sexe : entre misérabilisme et populisme

Stéphanie Pache •

Le traitement politique du commerce du sexe est une question difficile qui a tendance à être parasitée par des prises de position d’ordre plutôt moral, voire moraliste. Du point de vue féministe, deux camps s’opposent le plus souvent: les partisan•e•s d’une position «libérale», qui mettent en avant la liberté de disposer et de vendre son corps, et les personnes prônant une interdiction de ce commerce, qui selon elles relève nécessairement de la contrainte ou de la pathologie. En prenant l’exemple de la prostitution, les premier•e•s défendent un droit à se prostituer et une reconnaissance de la profession, alors que les second•e•s ont pour objectif l’abolition de la prostitution.

Des conceptions loin de la réalité

Comme le relève Lilian Mathieu dans La condition prostituée, les deux positions posent problème en recourant à des conceptions essentialisantes. Ainsi les abolitionnistes, qui considèrent que la prostitution en elle-même constitue une violence et que les personnes la pratiquant ont toutes des troubles psychologiques – ce qui reste à démontrer –, disqualifient les prostitué•e•s a priori et leur refusent la possibilité de disposer de leur corps. Cette perspective témoigne souvent plus d’une représentation misérabiliste et condescendante de la «mauvaise» sexualité qui caractériserait les classes dominées.

Mais les personnes défendant la liberté de se prostituer ne peuvent pas non plus démontrer que la prostitution est le résultat d’un choix libre et responsable de la part d’individus autonomes. Les contraintes peuvent être multiples et les travailleuses et travailleurs du sexe sont soumis à d’autres logiques sociales, économiques ou culturelles, comme tout un chacun.

En bref, ces deux positions sont loin des réalités vécues par les prostitué•e•s. Et malheureusement chacune a contribué à la mise en place de politiques sécuritaires et migratoires restrictives qui vont à l’encontre d’une politique sociale d’aide à un groupe d’individus marginalisés et précarisés.

Ainsi en France on a pu voir les tenant•e•s de l’abolitionnisme soutenir des lois comme celle sur la sécurité intérieure en 2003 (LSI), qui inscrit la traite d’êtres humains comme un crime dans le code pénal, tout en protégeant les prostituées étrangères qui dénonceraient leurs proxénètes. Au final, en 2007 aucune condamnation pour traite et nombre d’expulsions avant le moindre témoignage… La figure de la victime de la traite envoyée contre son gré se prostituer a ainsi servi de «paravent humaniste» à des mesures répressives sur l’immigration. La vision réductrice offerte par la figure de victime de la traite ne traduit pas une réalité beaucoup plus complexe, où les personnes prostituées ont notamment un projet migratoire propre, dans un contexte global de contraintes économiques.

Une industrie stigmatisée et précaire

Le marché de la pornographie, que nous définirons comme commerce des «représentations sexuelles explicites», peut être abordé sous un angle similaire. Tout en considérant les spécificités de cette industrie, les personnes travaillant dans ce secteur partagent un certain nombre de problèmes avec les prostitué•e•s. En particulier, les conditions de travail variables associées à une stigmatisation et une précarité sociales importantes. Nous ne parlerons donc pas des conditions de travail des actrices et acteurs, mais préférons réfléchir au rôle de la diffusion de ces images dans la société.

Nous avons ainsi pris le parti dans ce dossier de ne considérer a priori la sexualité vénale ni comme forcément contrainte ni comme un choix. Nous sommes d’avis que les protections sociales publiques sont les conditions minimales pour pouvoir faire des choix et maîtriser sa vie. Le commerce du sexe disparaîtra peut-être un jour, lorsqu’il existera des alternatives crédibles à la sexualité vénale.

Publié dans le Pages de gauche n° 69 (juillet-août 2008).

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