Le quinquennat de François Hollande qui s’achève laisse un goût amer aux militant·e·s de gauche, en France sans aucun doute, mais également à l’étranger. En Suisse romande, où la politique française est étudiée, décortiquée et où le programme du PS français est aisément assimilé à celui des PS suisses-romands, on ne reste évidemment pas indifférent·e à la politique appliquée par le gouvernement socialiste.
Amer, le bilan de François Hollande l’est pour la gauche socialiste sur de nombreux points: une politique économique centrée sur «l’offre», soit sur l’amélioration des conditions cadres pour les entreprises, ce qui passe par des baisses d’impôts et une dérégulation du droit du travail. En d’autres termes, c’est un programme social-libéral qui a été appliqué avec vingt ans de retard sur les travaillistes britanniques qui semblent aujourd’hui en être revenus. Sur le plan de la politique de sécurité, on a assisté à un raidissement important dans le sillage des attentats de 2015 et 2016, avec le mise en place et la prorogation de l’état d’urgence donnant des pouvoirs accrus aux services de police, en marge des procédures ordinaires placées sous le contrôle des autorités judiciaires.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que cette appréciation sévère se justifie, selon nous, par l’écart entre ce que nous aurions souhaité d’un gouvernement de gauche et la politique réellement mise en œuvre. Nous sommes déçus, mais il vaut la peine de se rappeler combien nous étions soulagés lorsque Nicolas Sarkozy n’a pas été réélu et ce qu’aurait pu être une politique de droite. À gauche, personne ne peut sincèrement espérer un retour de la droite aux affaires, et encore moins de l’arrivée de l’extrême droite. Un passage de Marine Le Pen à l’Élysée est une perspective glaçante à tous points de vue.
Dans ce contexte, le résultat des primaires de la gauche est encourageant car la non-désignation de Manuel Valls, un des principaux artisans du virage sécuritaire et social-libéral, montre que les membres et sympathisant-e-s du PS ne veulent majoritairement pas de cette politique. Benoît Hamon, qui incarnait l’aile «frondeuse» du PS, sera le candidat socialiste à la présidentielle.
En l’état, ses chances de l’emporter en mai semblent faibles, et les sources d’inquiétudes sont nombreuses. En premier lieu, même si Manuel Valls s’est empressé d’annoncer qu’il serait loyal et respecterait le résultat du vote, l’aile droite du PS semble disposée à prêter allégeance à l’ancien banquier qui promet la synthèse entre la gauche social-libérale et l’aile progressiste de la droite parlementaire autour d’un programme aux contours encore flou. Toutes proportions gardées, ce type de réaction est similaire au battage médiatique de certain·e·s élu·e·s alémaniques après le Congrès du PS Suisse de Thoune qui a adopté des positions de gauche sur la démocratie économique. Loin de respecter la position majoritaire, l’aile droite a une forte tendance à s’émanciper des décisions en cas de défaite dans les urnes ou au Congrès. Elle porterait une lourde responsabilité si elle devait tenter de torpiller la campagne de Benoît Hamon.
L’autre inconnue réside bien entendu dans l’attitude qu’adopteront Jean-Luc Mélenchon et son entourage. La logique voudrait qu’un programme commun – voire une candidature unique dès le premier tour – soit immédiatement négocié. Face à un candidat qui s’est autoproclamé porte-voix de la gauche de combat, la tâche sera rude pour le candidat socialiste.
Le plus intéressant est en tout état de cause le fond du programme. Comme l’ont relevé plusieurs commentaires au soir du 29 janvier, l’aile social-libérale avait le mot «modernité» bien ancré dans ses éléments de langage. Toutefois, le programme de Benoît Hamon est sans doute l’un des plus novateurs parmi tout·e·s les candidat·e·s à l’élection présidentielle. On ne s’étendra pas sur les programmes de la droite. C’est avant tout d’Emmanuel Macron, qui propose à peu de choses près la poursuite de la politique social-libérale du quinquennat Hollande, que le programme socialiste se démarque désormais. Celui-ci propose un retour à certains fondamentaux de la gauche (comme la réduction du temps de travail ou la fin de l’état d’urgence au profit des procédures ordinaires), mais aussi un programme de rupture sur le plan de la politique économique en vue de poser les conditions d’une économie sociale et solidaire. La proposition de revenu universel a été beaucoup commentée. Dans nos pages, nous avons longuement discuté du Revenu de base inconditionnel, et selon les variantes de mise en œuvre, il nous enthousiasmait très peu. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une proposition réellement novatrice et qui propose une vraie révolution dans la politique économique.
C’est peut-être un des principaux enseignements de ces primaires: le vrai changement vient de la gauche. Il reste trois mois pour lui permettre de réunir une majorité.
Arnaud Thièry