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Bélarus : les trois coups de la révolution

Vincent Présumey •

Si les mots ont un sens, c’est une crise révolutionnaire que connaît le Bélarus, un petit pays européen enclavé entre la Russie, l’Ukraine, la Pologne et la Lituanie : manifestations rassemblant une majorité de la population, affrontement avec un appareil d’État violent, obtus, machiste et tortionnaire, question du pouvoir posée par la population. Mais la méconnaissance des réalités et les idées reçues ont la vie dure et portent atteinte à la nécessaire solidarité.

On croit parfois que ce pays serait un « îlot de socialisme », ou à tout le moins une sorte de paternalisme, certes autoritaire, mais protecteur et, somme toute, confortable. Rien n’est plus faux. Le Bélarus est un paradis capitaliste : les contrats collectifs de travail sont interdits, ainsi que les contrats de travail à durée indéterminée, et les jeunes diplômé·e·s sont astreints à deux années de travail avec un sous-salaire. Le chômage réel avoisine les 10%. Ces prolétaires mis en concurrence ont un employeur unique pour 60% d’entre eux, l’État : il réalise sa plus-value en vendant des armes et des pièces de précision à la Russie, et des produits agricoles à l’UE – le tout facturé en dollar. Dans ce cadre les privatisations ont commencé (Loukachenko en a bénéficié !). Faire croire qu’il y aurait des acquis d’on ne sait quel socialisme à préserver est une plaisanterie de mauvais goût.

Ainsi donc, les élections présidentielles du 9 août 2020 ont clairement été gagnées par Svetlana Tikhanovskaïa, jeune femme saisie par la population comme le symbole permettant de dire qu’il y en a assez de la dictature. La répression, terrible, s’est abattue : cinq jours de prison peuvent vous marquer à vie. Les méthodes des «Omons», les forces antiémeutes bélarusses, tendent à ressembler à celles du régime syrien : coups, brûlures, viols. Mais au matin du 11 août, les ouvrières et les ouvriers de l’usine BelAzot à Hrodna sont entrés, et le pays avec eux, en « grève générale ». Tout a rebondi. La nation bélarusse – Biélorussie est le même mot, mais en russe et choisi par le commissaire aux nationalités Staline en 1919, c’est pourquoi il faut l’appeler Bélarus ! – s’affirme dans ses revendications démocratiques : dehors Loukachenko, libération de tou·te·s les prison- nières·ers politiques, élections libres à tous les niveaux.

Le rôle de la classe ouvrière

La classe ouvrière industrielle a joué et joue un rôle déterminant, au centre de tout le mouvement de la jeunesse, des femmes, du peuple. La grève générale politique a démarré puissamment les 11-15 août puis, confrontée à la répression, à la précarité des emplois, et à la faiblesse initiale des organisations ouvrières, elle s’est convertie en une sorte de grève générale du zèle, sans arrêts de travail massifs, mais ralentissant la production. Des comités de grèves élus se sont maintenus et sont la cible de la répression : leurs membres animent la résistance populaire, et particulièrement le Congrès bélarusse des syndicats démocratiques (BKDP), syndicat indépendant hérité des luttes des années 1990, au rôle précieux. Son président Alexandre Iaroshuk a appelé à la formation d’un Comité national de grève pour imposer les élections libres. Par unités de production entières, les travailleuses·eurs quittent le syndicat officiel et rejoignent le syndicat libre.

Autre caractère frappant : la place majoritaire des femmes, en dehors des usines et des mines au recrutement surtout masculin. Depuis le début, ce sont souvent des femmes les organisatrices et les porte-paroles et cela se retrouve dans le syndicat indépendant. Elles sont aussi les victimes de la répression, mais elles combattent avec courage la brutalité des Omons.

La crise révolutionnaire en Bélarus s’inscrit donc dans une triple perspective historique: l’histoire longue des luttes ouvrières en Europe centrale et orientale, la vague de soulèvements populaires commencée avant la pandémie et qui a repris depuis aux États-Unis eux-mêmes, et l’affirmation des femmes.

Le décalage est douloureux entre la portée de ce mouvement et la réalité plutôt faible de la solidarité internationale.

Le décalage est douloureux entre la portée de ce mouvement et la réalité plutôt faible de la solidarité internationale. Signalons la prise de position rapide, en France, de la CGT en défense des syndicats indépendants – qui a soulevé la fureur des néostalinien·ne·s de tout poil – et celle de député·e·s britanniques travaillistes et écossais·es notamment, dont Jeremy Corbyn. Il est pressant d’intensifier les prises de positions, notamment syndicales, pour défendre les syndicalistes emprisonné·e·s : Nikolaï Zimine, déjà passé à tabac en août, Siarey Charkasau, vice-président du BKDP, Roman Leontchki, tou·te·s les membres arrêté·e·s du comité de grève des mines de phosphate de Salihorsk, Svetlana Volchek, du comité de grève de l’université de Minsk…

Quelle perspective ? Loukachenko a raison : « Si Loukachenko s’écroule, tout le système s’écroule, suivi du Bélarus. Si le Bélarus tombe, la Russie est la suivante sur la liste ».

Pour aller plus loin, on lira les articles rédigés sur le même thème sur le site «Arguments pour la lutte sociale».

À paraître dans le n° 177 de Pages de gauche (automne 2020). Pour s’abonner, c’est ici !

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