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Entretien avec Élisabeth Baume-Schneider •

Avec l’élection d’Élisabeth Baume-Schneider au Conseil fédéral, Pages de gauche republie un entretien réalisé avec elle en janvier 2011 (Pdg 95) après sa seconde réélection au gouvernement jurassien. La première représentante du Jura au collège fédéral était justement revenue sur la participation de la gauche à des exécutifs. Une question, qui concernait ses anciennes activités de Ministre cantonale de la formation, n’a pas été ici reproduite.


Pour vous, qu’est-ce que cela veut dire, gouverner à gauche?

C’est à la fois possible, nécessaire et indispensable. Les valeurs que nous défendons à gauche ne sont pas si exclusives qu’elles nous interdiraient de participer à un gouvernement, même en y étant minoritaires.

Dans le système suisse, je suis convaincue que la gauche a sa place dans des gouvernements, y compris au Conseil fédéral. Il faut pouvoir porter nos valeurs de justice sociale, d’égalité des chances et de solidarité à l’intérieur même du système, être vigilant·e·s quant aux évolutions pour pouvoir anticiper, servir d’adjuvants et proposer de nouvelles orientations politiques. Nous devons être des aiguillons qui cherchons à mettre en avant les valeurs que nous défendons. Il faudrait que les élu·e·s développent un vrai réflexe socialiste dans une fonction gouvernementale.

Ce n’est pas aisé, bien sûr, mais je crois que la facilité nous éloignerait du terrain et des luttes qui s’y jouent. En outre, il s’agit d’être attentif au fait qu’un ministre, et à plus forte raison une ministre socialiste crée parfois des déceptions, des désillusions pour les personnes qui ont cru en elle au départ et qui avaient parfois des espoirs trop élevés. Mais ma réponse est en général la même: «mettez des hommes de droite à notre place et voyez si ça va mieux»!

En étant au gouvernement, il faut donc accepter d’avancer par petits pas tout en essayant de ne pas céder sur nos principes fondamentaux et en visant la cohérence sur l’ensemble de notre action.

Et lorsqu’on se trouve dans une situation minoritaire, comme c’est votre cas?

Cela ajoute à la difficulté, mais ce contexte nous rapproche en réalité des personnes et des valeurs que nous défendons. Nous sommes nous aussi dans une situation plus vulnérable, dans cette position de faiblesse qui frappe tant de gens; nous n’avons pas l’habitude de gagner en étant socialiste dans un gouvernement à majorité de droite. Les personnes qui gagnent à tous les coups ne se rendent trop souvent plus compte de ce que signifie une situation de faiblesse. Il nous faut donc garder notre courage et notre optimisme, et ne jamais renoncer.

Concrètement, il y a peu de votes formels dans un gouvernement. Il importe de poser des priorités et le respect entre collègues. Les alliances de circonstance donnent de la crédibilité aux projets. Le fait d’être minoritaire n’entraîne pas une situation figée: être minoritaire, ce n’est pas tous les mardis (jour de réunion du gouvernement jurassien, ndlr) la même chose! Les fronts bougent, les sujets abordés peuvent diviser ou fédérer différemment. Ce qui est vrai en revanche, et c’est parfois une motivation supplémentaire, c’est que l’on n’a jamais le confort de pouvoir décider en étant assurés de faire passer ses projets. Il s’agit de convaincre tout le temps.

Enfin, la présence de ministres de gauche a aussi un impact important sur la conduite des départements dont elles·ils ont la responsabilité. On peut ainsi créer des impulsions déterminantes et agir concrètement sur les dossiers, avant de les soumettre au gouvernement. Cette action «en amont» est tout à fait essentielle.

Propos recueillis par Antoine Chollet

Cet article a été publié dans Pages de gauche n°95 (janvier 2011).

Crédit image: Lukas Graf sur Wikipédia.

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