Victoire pour la 13e rente AVS

La rédaction •

Enfin! Après 130 ans, la gauche parvient enfin à faire passer une initiative développant les assurances sociales! La victoire de ce 3 mars 2024 pour l’introduction, en 2026 au plus tard, d’une 13e rente AVS a été à juste titre saluée comme un événement historique. Le texte lancé par l’USS et soutenu par toute la gauche — et seulement par elle — a réussi l’exploit de recueillir la si redoutée double majorité du peuple et des cantons. Paradoxalement, alors que la gauche est à l’origine de l’outil de l’initiative populaire, elle a en effet toujours eu les plus grandes difficultés à faire passer ses textes, et n’avait jamais réussi à le faire seule jusqu’à ce dimanche.

Cette victoire rappelle donc qu’il faut parfois aussi lancer des textes qui ont des chances raisonnables d’être acceptés, et pas seulement des propositions plus radicales mais qu’on sait dès le départ n’avoir aucune chance de gagner. Ces dernières ne sont pas sans importance, mais elles ne doivent pas occulter l’essentiel. L’outil de l’initiative doit en effet également être utilisé comme un contre-pouvoir effectif, en particulier lorsque le lancement répété de référendums ne parvient plus à retenir nos adversaires dans leur actuelle dérive idéologique.

Le vote du 3 mars a également montré qu’une initiative ne peut se gagner à gauche sans une participation élevée. L’écart d’une date de votation à l’autre est très important en Suisse, allant de 30% les mauvais jours à plus de 60%, que l’on a approché cette fois-ci (avec quelques pointes au-delà, mais qui restent exceptionnelles). Le résultat du jour rappelle donc qu’un vote populaire se gagne principalement en mobilisant et convaincant les abstentionnistes intermittents, et non en tentant de se concilier une partie de l’électorat du PLR ou du Centre [1].

On peut à bon droit espérer que ce résultat réconcilie la gauche avec les outils de la démocratie directe, tout en rappelant à ses différentes forces qu’ils doivent être utilisés efficacement, et donc avec parcimonie. Lorsqu’on voit les décisions prises par les chambres fédérales, il est évident qu’on souhaiterait lancer des référendums et des initiatives tous les jours. Une victoire comme celle du 3 mars demande cependant un investissement important, en temps et en ressources, qui ne peut être répété quatre fois par an.

La démocratie directe contre une droite de plus en plus désinhibée

Le camouflet monumental infligé aux partis de droite et à leurs bailleurs de fonds (les différentes associations patronales et autres acteurs·rices fortuné·e·s luttant de toutes leurs forces pour le statu quo) permet de noter un écart grandissant entre les positions des premiers et celles d’une partie importante de la population. Cela concerne en particulier le PLR, mais aussi les autres forces de droite (le Centre, les Verts-libéraux, l’UDC). On peut songer aux retraites, mais également à d’autres sujets comme l’assurance maladie, le maintien d’un service public de qualité dans la santé (voir le projet EFAS, combattu par référendum par les syndicats [2]), les transports ou l’éducation.

Les outils de la démocratie directe sont précisément conçus pour permettre de réduire l’écart entre les opinions présentes dans la population et celles défendues par les majorités parlementaires, en annulant des lois votées par les chambres ou, comme aujourd’hui, en les contraignant à lancer une réforme dont elles et ils ne veulent pas.

Si cette fonction des outils référendaires est essentielle, il n’en demeure pas moins que l’écart actuel entre les partis de droite et la population est béant et qu’il devra finir par trouver une traduction électorale. Il semble peu probable qu’elle prenne la forme d’une révision des positions défendues par les partis en question. Il suffit de voir le genre de textes qu’ils présentent pour s’en convaincre. Pour ne prendre que deux exemples: l’initiative des jeunes PLR — qui était soutenue par le PLR et l’UDC — pour l’augmentation de l’âge de la retraite, balayée par le peuple et les cantons ce même 3 mars, ou une initiative complètement délirante — lancée par l’UDC, mais aussi soutenue par le PLR — visant à limiter mathématiquement le nombre de salarié·e·s du secteur public dans le canton de Soleure, qui a connu le même sort ce dimanche (dite « initiative 1:85 »). Les partis de droite sont lancés sur une trajectoire de radicalisation à partir de positions très marginales, inspirées aussi bien de la droite dite « libertarienne » américaine que d’un ultra-conservatisme social et politique proprement effrayant. Et ces positions ne sont pas majoritaires en Suisse, les votes populaires le montrent avec une assez grande régularité.

Les élections fédérales de l’automne passé ont pourtant conduit à des résultats exactement inverses, puisque cette droite butée, incapable d’entendre ce qui se passe dans la société et soucieuse uniquement de défendre les intérêts d’une infime fraction de la population, en est sortie renforcée. Il sera dès lors crucial durant les prochaines années de rappeler à chaque occasion l’écart entre ce que ces forces politiques défendent au parlement et les préoccupations d’une grande majorité de la population, et pas seulement sur les retraites.

Comme nous le disions plus haut, les outils de démocratie directe sont efficaces, mais ils ne peuvent à eux seuls infléchir l’ensemble des décisions politiques. La composition du parlement et de son émanation gouvernementale ne peut être ignorée trop longtemps sans dommages.

Le vote populaire ne s’achète pas

Les dernières semaines de campagne ont bien montré que la droite et les forces économiques qui lui sont affiliées étaient en train de paniquer. Les millions engloutis dans une campagne massive et mensongère montrent, s’il fallait encore s’en convaincre, l’importance de l’enjeu des retraites en général et de l’AVS en particulier. Leur défaite ce 3 mars en est d’autant plus réjouissante.

Le déséquilibre gigantesque des moyens à disposition pour mener campagne a rappelé qu’un vote ne s’achète pas et que la mesure des dépenses pour et contre un texte n’est pas un outil fiable pour anticiper son succès ou son échec. On sait que l’un des éléments les plus importants pour contrecarrer l’influence de l’argent dans une campagne est la vivacité de cette dernière, la multiplication d’événements et de discussions publiques, l’omniprésence du thème dans les médias et dans les conversations. Le vote en faveur de la 13e rente a en outre montré qu’un tel déséquilibre permettait non seulement de s’opposer à une loi (avec un référendum), ce qu’on savait déjà, mais également de faire passer un nouveau texte (par une initiative), ce qui est beaucoup plus rare. Ce résultat est donc aussi un argument très fort en faveur de la démocratie, laquelle ne profite pas qu’aux plus riches comme on l’entend parfois.

La droite ne s’est toutefois pas contentée de dépenser des sommes élevées pour attaquer l’initiative, elle n’a pas hésité à dérouler une suite ininterrompue de mensonges sur l’AVS et son financement, et à les répéter sans arrêt sans tenir aucun compte des arguments échangés pendant les débats. Encore aujourd’hui, les responsables de campagne du PLR, du Centre et de l’UDC répétaient que rien n’était prévu pour le financement, alors que l’USS a précisé dès le départ comment financer cette 13e rente de manière pérenne. Les absurdités sur la « faillite » annoncée de l’AVS ont été serinées en boucle malgré toutes les preuves du contraire. L’idée invraisemblable d’un « conflit entre générations » a elle aussi été agitée, toute honte bue, alors même que les retraites par répartition reposent précisément sur la solidarité entre générations et non leur opposition. On a pu constater une fois de plus que, pour les politicien·ne·s bourgeois·es d’aujourd’hui, le principe même de l’AVS était devenu radicalement incompréhensible (ce qui, d’une certaine manière, est assez naturel puisque ledit principe est étranger à la logique capitaliste qui est la leur).

La répétition de ces mensonges a donné une allure quasi trumpiste à la campagne de la droite, qui semblait tourner en boucle dans son délire, totalement imperméable au moindre argument rationnel. Elle montrait aussi que ses représentant·e·s ne comprenaient pas de quoi elles et ils étaient en train de parler. Ce rapport totalement décomplexé avec la réalité, ces personnes prêtes à user de n’importe quel argument pour autant qu’il les serve, cette incapacité à considérer qu’un débat politique consiste à échanger des propos minimalement sensés et à prendre en compte le discours de ses adversaires et à y répondre, donnent une image assez inquiétante de la droite suisse. La perspective de la défaite lui a fait perdre le résidu de vernis démocratique qu’elle avait encore la prétention d’exhiber. Il faudra s’en souvenir lors des débats sur la mise en œuvre de l’initiative.

D’autres combats à venir

La victoire de ce dimanche n’a été possible que grâce à un engagement collectif important de toutes les forces de gauche: syndicats, collectifs féministes, partis, etc. On le sait, les combats politiques se préparent avant que la campagne proprement dite ne débute, et c’est bien ce qui s’est passé pour cette initiative.

Cette magnifique victoire doit être comprise comme un signal très positif en vue du vote sur la réforme du 2e pilier, qui aura lieu avant la fin de l’année grâce au référendum lancé par la gauche et les syndicats. Car si la droite tente depuis des décennies et par tous les moyens de torpiller l’AVS en l’affaiblissant progressivement, elle a le même projet avec le 2e pilier puisqu’elle a fini par comprendre qu’il ne pouvait plus rapporter les milliards escomptés aux caisses de pension. Le projet est de basculer une part de plus en plus grande des avoirs pour les retraites vers le 3e pilier, l’outil le plus lucratif, non pour les retraité·e·s (il coûte une fortune pour des résultats bien maigres et très incertains), mais pour les caisses et leurs actionnaires. Le 3 mars est une date historique pour le système des retraites en Suisse, pour l’histoire de la gauche, pour l’histoire de la démocratie directe également. Il ne tient qu’à nous qu’elle ne reste pas une victoire isolée!


[1] S’agissant de la 13e rente AVS, on sait en outre qu’une partie de l’électorat de l’UDC a voté pour l’initiative de l’USS, ce qui explique le mutisme du parti d’extrême droite dans la campagne.

[2] https://ssp-vpod.ch/news/2023/le-ssp-lance-le-referendum-contre-efas/

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antoine_chollet