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Présidence de l’USS : entretien avec Barbara Gysi

N’est-il pas temps qu’une femme occupe la présidence de l’USS ?

Oui, c’est le moment. La situation des femmes dans le monde du travail est préoccupante à bien des égards. Elles subissent toujours des discriminations importantes, notamment au niveau salarial, et les attaques contre le relèvement de leur âge de départ à la retraite n’ont pas disparu. Aujourd’hui, les professions les plus précarisées sont majoritairement féminines, que l’on songe par exemple aux soins à domicile ou au commerce de détail. Ce sont sans surprise des professions qui sont très peu syndiquées, ce qui explique les mauvaises conditions de travail qu’on y observe. Cela signifie donc que c’est là que le potentiel de syndicalisation est le plus important, et que l’USS doit y diriger ses forces à l’avenir. Seul un tiers des membres des syndicats sont des femmes en Suisse ; cette proportion doit augmenter. Il faut que les femmes s’engagent davantage sur le terrain syndical, et je pense qu’une faîtière nationale présidée par une femme peut y contribuer. L’USS doit aussi se battre pour la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée, et sur ce plan aussi, il me semble que le point de vue d’une femme peut nuancer le discours et le renforcer. Dans ce contexte particulier et vu les combats qui s’annoncent, il me semble crucial que l’USS ait une femme à sa tête. Avec la nouvelle grève des femmes qui se prépare pour 2019, ce serait d’ailleurs un signal important.

Comment vois-tu un double engagement de parlementaire fédérale et de présidente de l’USS ?

Être parlementaire est extrêmement important lorsqu’on occupe la tête de l’USS. C’est là que les décisions importantes pour les travailleuses·eurs sont discutées et décidées. Depuis 2011 que je siège au Conseil national, j’ai pu me construire un réseau important dans la politique fédérale, ce qui est nécessaire si l’on veut que les syndicats disposent de relais forts au parlement. Au sein de la gauche, le PSS et les syndicats défendent toujours les mêmes positions. Il en est de même au niveau cantonal d’ailleurs, comme j’ai pu le voir à Saint-Gall, comme députée au Grand Conseil et présidente de l’Union syndicale saint-galloise. Ce qui importe, c’est déjà de relayer les préoccupations et les revendications syndicales au sein du groupe PS aux chambres. Le travail entre partis et syndicats doit donc se faire de concert, et l’on sait que tout affaiblissement de la présence des représentant·e·s de l’aile syndicale au sein du PS a des effets sur les priorités de ce dernier. Ce n’est qu’ensemble que nous pouvons améliorer les conditions de travail des salarié·e·s.

L’USS est composée d’une multitude de syndicats avec des objectifs politiques parfois variés. On peut songer par exemple au débat entre lois et CCT. Comment arbitrerais-tu entre ces positions ?

Avant toute chose, il faut discuter avec toutes les fédérations pour trouver un terrain d’entente. Cela a toujours été ma manière de travailler : ne pas nier les divergences et tenter de trouver des solutions. Plus spécifiquement, sur le lien entre CCT et loi, il me semble qu’il faut que l’USS se batte en même temps pour une extension de la couverture conventionnelle (qui ne concerne qu’environ 50 % des salarié·e·s du privé aujourd’hui) et pour l’instauration de mesures légales qui s’appliquent à tou·te·s les salarié·e·s, l’exemple principal étant un salaire minimum national et les lois sur le travail. Les conditions de travail ne devraient pas être différentes entre les secteurs publics et privés.

Quels doivent être les objectifs du monde syndical suisse ces prochaines années ?

L’objectif général est bien sûr la protection et l’amélioration des conditions de travail de tou·te·s les salarié·e·s. Celui-ci ne pourra être poursuivi que si nous parvenons à obtenir des augmentations des salaires les plus bas. Dans ce cadre, la défense des mesures d’accompagnement liées aux accords bilatéraux avec l’UE est essentielle (venant d’un canton frontalier, j’en connais d’autant mieux la nécessité). Nous devons aussi nous battre pour la réduction du temps de travail, en revendiquant une semaine de travail de 35 heures. Dans le même sens, nous devons demander l’augmentation des rentes AVS et garantir leur financement à long terme. S’agissant du 2e pilier, il faut s’occuper de la situation des personnes qui ont travaillé à temps partiel et qui sont mal assurées. La conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, puis le thème du harcèlement sexuel et moral, ainsi que la question plus générale de la santé au travail, me paraissent aussi devoir faire partie des priorités de l’USS ces prochaines années. Enfin, je crois qu’il faut se battre pour un service public plus grand et plus fort en Suisse. Cela concerne tous les domaines habituels, qui sont sans cesse attaqués par la droite : santé, transports, communications, etc. Cela passera par une obligation d’appliquer les CCT dans les institutions privées de la santé par exemple. J’ajoute une dernière chose dans ces objectifs : les syndicats doivent être des employeurs exemplaires pour leurs propres salarié·e·s. Les secrétaires syndicaux sont bien sûr aussi des militant·e·s, ils et elles se battent pour les objectifs politiques de leur organisation de toute leur âme, mais cela ne doit pas justifier que leurs conditions de travail soient mauvaises. Nous devons je crois rester attentifs à cet aspect-là. Ce programme ambitieux ne peut être réalisé de toute évidence sans un renforcement du mouvement syndical, c’est-àdire grâce à une augmentation du nombre de ses membres, des hommes comme des femmes. Il faut donc entamer des actions de syndicalisation aussi larges que possible. Il ne faut pas oublier non plus de maintenir le dialogue avec les autres syndicats, y compris ceux qui ne sont pas membres de l’USS.

Propos recueillis le 14 septembre 2018 par Antoine Chollet.


Entretien publié dans le n° 169 de Pages de gauche (automne 2018).

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