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Une gestion hors de contrôle

Derrière l’image lisse des gestionnaires d’assurances maladie, se cachent de multiples intérêts et des pratiques comptables opaques. Sans parler du scandale du financement par les primes des assuré-e-s de la campagne de Santésuisse contre l’initiative pour une caisse unique.

Lors d’une émission d’Infrarouge en automne 2005, Pierre-Yves Maillard avait confronté Pascal Couchepin, le chef du Département fédéral de l’Intérieur, avec des chiffres qui prouvaient que dans le canton de Vaud, de 2001 à 2005, les primes avaient augmenté de 300 millions de francs de plus que ce qu’aurait justifié une simple répercussion de l’augmentation du coût des soins. Les réserves étaient donc passées au double de la norme légale, donc à près de 30% au lieu des 15% prescrits, sans qu’aucune concurrence n’ait fonctionné et sans que l’office fédéral compétent ne soit intervenu. Pascal Couchepin, qui avait essayé de démentir l’argument en prétendant que les chiffres de Pierre-Yves Maillard étaient faux, a dû concéder quelques semaines plus tard par écrit: «Il est exact que les réserves des assureurs du canton de Vaud sont supérieures dans une proportion importante à celles nécessaires pour chaque assurance sur le plan national. Nous vous confirmons qu’il ne semble pas juste que cette situation perdure. […] Nous avons donné l’instruction à l’OFSP de réduire les réserves excédentaires des assureurs dans le canton de Vaud dans un délai de 5 ans.»

Calcul d’épiciers?

Les caisses maladie affichent depuis quelques années un rendement sur leurs placements qui est systématiquement 3-4% en dessous du rendement qu’obtient la CNA. Cette différence correspond à une perte assez considérable de 210 à 280 millions de francs par année. Lors d’une nouvelle discussion à Infrarouge le 9 mai 2006, confronté à cet argument par Pierre-Yves Maillard, le président de la CSS Pierre Boillat prétend que la CSS a obtenu une performance de 9% sur ses placements en 2005. A la lecture du rapport annuel de la CSS qui paraît peu après cette émission, nous découvrons avec surprise que le rendement déclaré dans le bilan est seulement de 3.5%. Une lecture des annexes aux comptes éclaircit le mystère: les placements en titres sont inscrits à leur valeur historique la plus basse, tandis que les terrains et immeubles y figurent à leur valeur d’achat. Cette manière de faire correspond aux directives de l’OFSP qui n’a pas jugé utile d’adapter ses normes en 1996 ou 1997 quand toutes les autres assurances sociales ont introduit l’obligation de mettre au bilan les placements à la valeur du marché. Qu’est-ce que cela veut dire? Les réserves et les provisions des caisses maladie sont vraisemblablement massivement sous-évaluées: nous pouvons être actuellement à 25% ou 30% au niveau national et entre 40% et 50% dans le canton de Vaud. Deuxièmement, ce manque total de transparence permet aux assureurs de transférer des bénéfices à des sociétés «amies» sans que cela ne devienne visible au niveau de la comptabilité.

Propagande payée par nos primes

Le rapport d’activité de Santésuisse pour 2005 indique que l’association faîtière des assureurs maladie a constitué en 2004 et 2005 un «fonds politique», sans doute destiné à combattre l’initiative populaire pour une caisse unique, à hauteur de 7 millions de francs! Comment est-ce que santésuisse a pu trouver ces 7 millions? C’est simple: elle facture des cotisations et des prestations aux caisses maladie membres. Ces cotisations et ces prestations facturées rapportent chaque année environ 3 millions de plus que ce que santésuisse ne consomme en salaires ou en matériel. Autrement dit: ce sont nos primes qui servent à financer la propagande des assureurs pour défendre leurs intérêts de boutique. Et aussi l’argent du contribuable qui finance les primes par les subsides à raison d’environ 15% du montant total. Des 7 millions du fonds de propagande de Santésuisse, il y a donc environ 1 million qui est financé par l’impôt. Cette pratique, ouvertement avouée par le président de santésuisse, M. Christoffel Brändli, le 15 juin en séance du Conseil des Etats, est tout simplement scandaleuse.

Après les postes de conseils d’administration des grands assureurs offerts à quantité de parlementaires – 8 parlementaires employés parmi les commissions décisives de la sécurité sociale et de la santé –, les «enveloppes» du Groupe Mutuel – 5’000 à 10’000 francs payés pour chaque réunion d’un «groupe de réflexion» avec 5 parlementaires concernés –, nous assistons maintenant à une nouvelle phase dans la corruption de la vie politique suisse. Avec la différence de taille que, cette fois-ci, elle est financée ouvertement par les primes obligatoires d’assurance sociale et l’argent du contribuable.

Une attitude de confiance absolue

L’Allemagne a introduit en début d’année de nouvelles directives qui prévoient que les caisses doivent annoncer de manière intégrale les salaires payés à leurs organes dirigeants et ne peuvent plus verser à leurs directions des salaires plus élevés que nécessaire. En Suisse, le Conseil fédéral a déclaré récemment suite à une interpellation de Paul Rechsteiner au Conseil National: «Le Conseil fédéral ne voit pas de raison d’intervenir dans les structures des salaires des assureurs maladie aussi longtemps que les coûts administratifs ne dépassent pas les limites généralement admises.» Le salaire de 1’000’000 de francs du PDG du Groupe Mutuel gracieusement financé par nos primes ne choque donc pas outre mesure et n’appelle pas de mesures particulières…

La même confiance absolue est de mise pour les transferts de charges et de bénéfices éventuels à l’intérieur des grands groupes d’assureurs. Un assureur accident qui est en même temps un gros assureur maladie a de fortes chances de retrouver parmi ses dommages accident des assurés LAMal. Quoi de plus naturel que d’essayer de limiter les coûts d’assurances par une imputation de certains frais de contrôle ou de traitement accident à l’assurance maladie qui sera de toute façon refinancée automatiquement par des augmentations de primes?

Article paru dans le numéro spécial de décembre 2006 du mensuel du Parti socialiste vaudois (PSV) «Points forts». La rédaction de Pages de gauche remercie le PSV d’avoir pu reprendre une version légèrement adaptée de ce texte pour le présent dossier.

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