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Un sociologue dans le batiment

Un ouvrage extrêmement intéressant vient de paraître à la découverte . Il est le fruit d'une thèse de doctorat réalisé par un jeune sociologue français, Nicolas Jounin . Nicolas Jounin adepte de l'"observation participante" a été engagé pendant plus d'une année sur divers chantiers parisiens comme ouvrier intérimaire. Son travail est donc le fruit d'un engagement approfondi sur le terrain de la construction.

Il n'est pas question de résumer un ouvrage aussi riche ici, mais relevons quelques éléments intéressants.

  • Premièrement, Jounin met en avant l'omniprésence des formes d'emploi précaires telles que l'intérim. Néanmoins cette précarité n'est pas nécessairement synonyme d'instabilité. Les lois sur le travail sont constamment contournées par les agences d'intérim qui agissent comme les acteurs essentiels de la "fluidification" des relations de travail. Par exemple, les contrats à durée déterminée sont systématiquement signés après la mission.
  • Deuxièmement, cette précarisation des formes d'engagement est liée à leur éclatement. Sur un même chantier des dizaines d'employeurs différents interviennent. Ceci a pour effet très concret et très immédiat de détruire largement les solidarités entre travailleurs, en empêchant souvent l'émergence de revendications communes.
  • Troisièmement, il en découle que les syndicats sont quasiment absent dans ce nouveau type de relation de travail (ou alors des syndicats "maisons" qui fonctionnent plus comme lieu de contrôle que de résistance). Les seuls syndiqués et syndicalistes sont les travailleurs plus âgés, fixes, employés par l'entreprise centrale. Les intérimaires ne sont généralement pas syndiqués, ni, d'ailleurs, l'objet d'action des syndicats.
  • Quatrièmement, les résistances des ouvriers dans ce contexte prennent la forme de petites échappatoires: pause-toilettes qui durent, "faire semblant" de travailler, bref grappiller le plus de temps de "non-travail" possible. Ces actions ne montent néanmoins pas en généralité et ne constituent pas une remise en cause du système d'emploi.
  • Cinquièmement, les positions hiérarchiques sur le chantier renvoient quasi-systématiquement (mais pas totalement, Jounin fait une lecture très fine et subtile de ces arrangements) à des clivages ethno-raciaux: les "Maliens" au marteau-piqueur, les "Portugais" chefs de chantier, etc. Le racisme est omniprésent et constitue assurément une forme de disciplinarisation de la main d'oeuvre.

Une telle enquête existe-t-elle pour la Suisse? Je ne le crois pas. Merci de me signaler le contraire! Révèlerait-elle les mêmes structures, notamment la dominance de la sous-traitance et de l'intérim? Le rôle des syndicats est-il très différent (à mon avis oui, du fait de l'importance des CCT, mais à confirmer…)? Les hiérarchies sur un chantier en Suisse connaissent-elles la même structuration en terme raciaux-ethniques qu'en France?

 

A signaler finalement, une interview de l'auteur .

Jounin, Nicolas (2008). Chantier interdit au public. Enquête parmi les travailleurs du bâtiment. Paris: La découverte, 23€, CHF 47.60.

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