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Suède: La fabrique du populisme

Les élections du dimanche 9 septembre en Suède contiennent deux leçons pour le reste de l’Europe. La première, la plus importante, concerne l’efficacité du «cordon sanitaire» placé depuis des années autour du parti d’extrême droite des Démocrates de Suède (Sverigedemokraterna, SD). La seconde, secondaire mais pas insignifiante, porte sur l’usage du terme de « populisme ».

Lorsque le SD a gagné ses premiers sièges au parlement suédois en 2010, atteignant 5,7% des voix au niveau national (plaçant 20 de ses membres au Riksdag, l’unique chambre du parlement suédois), les autres partis suédois, droite conservatrice comprise, ont établi ce qu’ils ont eux-mêmes nommés un cordon sanitaire autour de l’extrême droite. Cela signifiait: aucun débat avec eux, aucune coalition, aucune négociation. La même stratégie était appliquée au niveau municipal, et elle a été maintenue pour les élections nationales de 2014, malgré un saut à 12,9% des voix (et 49 parlementaires), le SD se hissant en troisième position derrière le Parti social-démocrate et le plus grand parti de droite, Les Modérés (en fait un parti libéral-conservateur). Le SD est donc resté dans l’opposition dans toutes les communes et régions, ainsi qu’au niveau national. Pendant plusieurs élections, cette stratégie du cordon sanitaire a donc semblé plutôt bien fonctionner, contenant l’extrême droite à des niveaux inférieurs à ceux observés ailleurs en Europe. Les élections de ce dimanche, qui ont donné 17,6% des voix au SD, viennent fragiliser cette politique.

Certes, si on les compare à d’autres pays européens comme l’Italie, l’Allemagne ou la Suisse par exemple, et si on les ramène aux résultats pronostiqués par les sondages et attendus par le parti, le score effectif reste inférieur, mais il n’en demeure pas moins que, de 2010 à 2018, en l’espace de deux législatures, le SD a gagné 12 points dans les urnes. La situation est d’autant plus dangereuse que le parti a renforcé sa position de faiseur de majorité cette année. Les coalitions de gauche et de droite ne sont séparées que d’un siège (144 contre 143), et aucun d’entre elles n’a de majorité absolue. La Suède se retrouve donc dans la situation autrichienne de 1999, avec des partis conservateurs qui pourraient être tentés par une coalition avec l’extrême droite. C’est dans les prochaines semaines que l’on pourra observer les effets concrets de la stratégie du cordon sanitaire, à un moment où celle-ci devient déterminante pour orienter les choix politiques des uns et des autres.

L’autre leçon intéressante concerne le label appliqué au SD. Rappelons que ce parti a été fondé par des néo-nazis assumés à la fin des années 1980, et qu’il n’a changé que récemment son logo fascisant pour une fleur aux couleurs de la Suède. Du fait de ses origines, les analystes le cataloguaient sans problème à l’extrême droite. Or ses résultats de dimanche (mais on avait déjà pu observer un phénomène similaire, quoique moins fortement, en 2014) ont fait apparaître avec insistance le terme de «populisme» pour le qualifier. Sans revenir longuement sur les abus de langage liés à ce terme, réintroduit dans le vocabulaire politique français par des intellectuels de droite dans les années 1980 pour euphémiser le danger représenté par le Front national (qui lui aussi comprenait d’anciens nazis dans ses rangs et était unaniment considéré comme appartenant à l’extrême droite, voire au fascisme)1, ce qui se passe en Suède met au jour le sens véritable que le terme a acquis dans les médias et au sein des recherches de science politique ces dernières années. Est «populiste» tout parti qui parvient, sur le terrain électoral, à battre ou à affaiblir les partis traditionnels. Et que cette catégorie rassemble des partis aussi différents que l’UDC, Syriza, le Fidesz, Ukip, Podemos et, désormais, le SD ne semble pas poser problèmes aux doctes analystes qui alertent contre le «danger populiste».

Que les choses soient donc claires, et nous le répéterons aussi souvent qu’il le faudra: si le SD est dangereux, et il l’est, incontestablement, c’est parce qu’il est situé à l’extrême droite. Et si nous devons le combattre, c’est qu’il se bat contre tout ce qui, à gauche, nous est cher et qu’il est en faveur, à l’inverse, de tout ce que l’on abhorre. Il en est de même de l’UDC en Suisse, du Fidesz en Hongrie, de Ukip en Angleterre, de l’AfD en Allemagne, du FPÖ en Autriche, et de toute la peste brune qui s’étend aujourd’hui en Europe. La nommer «populiste», c’est partir du principe que le peuple serait intrinsèquement d’extrême droite, ce qui est sociologiquement faux et politiquement absurde. Céder sur le vocabulaire et la désignation des choses est déjà un début de capitulation en politique, il faut y prendre garde.

La rédaction

  1. Sur ce point, il faut absolument lire l’analyse minutieuse d’Annie Collovald, Le « populisme » du FN, un dangereux contresens, Bellecombe-en-Bauge, Le Croquant, 2004

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