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Strip-tease: la symphonie des oublié·e·s

Léo Tinguely •

En cette période de confinement, la Radio Télévision Belge Francophone (RTBF) a mis en ligne l’intégralité des 250 épisodes de son émission culte Strip-tease. L’occasion de découvrir (ou de redécouvrir), plus de 35 ans après ses débuts, cette émission profondément humaine. 

Bourdieu disait de la sociologie qu’elle se devait de dévoiler l’ordre social et ses mécanismes de domination. En ce sens, en poursuivant cette tradition dite critique, Strip-tease peut être considérée comme une émission sociologique, car en filmant des scènes ordinaires de la vie quotidienne, Strip-tease déshabille notre société. Des individus aux parcours atypiques sont mis à nu. Ils se dévêtent comme s’ils s’apprêtaient à poser pour se faire peindre de la tête aux pieds. Ici, aucune musique, pas de voix off ni même de questions. Les scènes sont filmées de manière brute à travers un regard dépourvu de tout jugement. La parole n’est pas volée, mais recueillie. Ainsi, on ne juge pas les différents univers que nous propose l’émission, on s’y plonge pour les comprendre. 

Au fil des portraits, l’émission s’attaque à tous les statuts sociaux, du jeune en réinsertion à la modeste agricultrice tout en passant par le patron véreux et la bourgeoise française. Cependant, c’est bien souvent lorsqu’elle rentre dans l’intimité des groupes sociaux les plus vulnérables que l’émission s’avère la plus pertinente. À travers les récits, on y découvre des êtres humains privés de participation à la vie en société et profondément abandonnés par les politiques publiques. Strip-tease place en son cœur les voix des oublié·e·s de notre société, celles et ceux qui étaient longtemps nommé·e·s vagabond·e·s, folles·fous, clochard·e·s, ou lumpenprolétariat. Ainsi l’émission nous propose des profils variés mais tou·te·s ont en commun d’être tombés dans une trappe de pauvreté et d’accumulation des difficultés dont ils·elles sont incapables de sortir seuls. 

Difficile d’opérer une sélection de recommandations tant le catalogue s’avère vaste. On retiendra tout de même les quatre épisodes centrés sur l’atelier de confection Maryflo, symbole de l’horreur capitaliste. Harcèlement, insultes et menaces, un petit patron y fait régner la terreur en 1997 avant d’être renversé et licencié par ses employées, courageuses et unies. L’émission documente dans un premier temps ce conflit social aux allures surréalistes avant de retrouver le fameux patron quelques années plus tard. Désormais installé en Algérie, il se la coule douce et a retrouvé un terrain idéal pour laisser libre court à ses méthodes tyranniques. 

Dans un tout autre registre, «Une délégation de très haut niveau» suit la visite en Corée du Nord d’un pathétique groupe de parlementaires belges (accessoirement tous de vieux hommes blancs) parmi lesquels la présence d’un Claude Béglé serait passé inaperçue. Venus vérifier si, comme le rabâchent les médias, le pays constitue réellement l’enfer sur terre, on les observe aligner les stupidités tout en se faisant bêtement balader ici et là par les autorités locales.

Accusée d’être extrême et malsaine, l’émission aura suscité bien des remous et provoqué, à tort, de nombreuses polémiques principalement à base d’extraits sortis de leur contexte et de leur finalité documentaire. Ce qui est finalement logique car pour revenir à Bourdieu, quand d’invisibles faits sociaux sont dévoilés, ils choquent inévitablement. À ce titre, il paraît important de rappeler que visionner Strip-tease, ce n’est pas faire preuve de voyeurisme obscène, mais au contraire c’est tout simplement prendre conscience de la richesse et la diversité humaine, mais aussi des folies de notre époque. 

 

A voir sur la plateforme de replay de la RTBF : https://www.rtbf.be/auvio/emissions/detail_strip-tease?id=16566

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