A l’occasion du dépôt de l’initiative RBI, Pages de gauche vous invite à relire son dossier de l’été 2012. Il ne fallait pas moins de dix pages pour parler de ce sujet qui réunit plusieurs débats tout à fait centraux pour la gauche: l’idée d’un revenu de base inconditionnel. De nombreuses personnes y réfléchissent depuis quelque temps, une initiative populaire a été lancée en Suisse, et la gauche est partagée sur le sujet! C’est pourquoi Pages de gauche a décidé d’y consacrer son dossier d’été.
Le revenu de base inconditionnel: première approche
Le récent lancement d’une initiative populaire par l’antenne suisse du réseau BIEN (Basic Income Earth Network), demandant l’introduction d’un revenu de base inconditionnel (RBI), nécessite qu’on se penche sur le sujet et qu’on en discute sérieusement. Le projet en question est simple: il s’agit de verser à chacun·e un revenu, de la naissance à la mort, sans aucune condition de travail, de cotisations ou d’«employabilité». Au-delà de l’initiative proprement dite, l’idée d’un revenu garanti a déjà connu de nombreuses formulations par la passé, et des modalités de mise en œuvre très diverses, ce qui ne facilite pas sa compréhension. Le principe divise d’ailleurs la gauche, et en particulier le Parti socialiste, ce qui n’est pas la moindre raison pour l’examiner de plus près. Certain·e·s rappellent que l’idée est d’inspiration néolibérale, alors que d’autres y voient parfois une solution à tous les problèmes sociaux.
Nous avons décidé de consacrer un nombre de pages inhabituel à cette question, car l’introduction du RBI et ses modalités de mise en place nous paraissent condenser quantité de débats tout à fait fondamentaux à gauche: sur nos projets, sur notre rapport à la société capitaliste ou au libéralisme, sur le concept de réforme, etc.
Questions importantes
Les modalités d’application d’un RBI peuvent être extrêmement variées et, au-delà même du ontexte politique dans lequel il serait instauré, peuvent déjà donner des orientations politiques complètement différentes au projet. Au moins quatre éléments nous paraissent devoir être pris en compte dans les discussions autour du RBI:
1. Quel doit être le montant d’un tel revenu de base, ou plutôt, à quoi doit-il servir? Entre une simple allocation de quelques centaines de francs, l’actuel montant de l’aide sociale ou quelque chose qui s’approche du salaire minimum demandé par les syndicats, les écarts quantitatifs deviennent de vraies différences qualitatives quant aux finalités assignées au RBI. On peut vouloir abaisser la charge salariale liée aux emplois les moins qualifiés (dont le salaire serait alors complété par une allocation universelle), ou, tout au contraire, transférer une part importante de la richesse produite dans un salaire socialisé suffisant pour vivre et versé à chacun·e.
2. Quel serait son mode de financement? Entre les personnes qui voudraient le financer par une augmentation de la TVA et celles qui parlent d’un financement par la hausse des cotisations patronales, les différences politiques et économiques sont immenses.
3. Quel rôle assigne-t-on aux services publics dans les ré- flexions autour du RBI? Si d’une part certain·e·s pensent qu’un RBI suffisamment élevé permettrait de les faire disparaître puisque chacun·e pourrait les payer selon leur coût réel, d’autres propositions leur conservent une place tout à fait fondamentale.
4. Enfin, quel horizon est fixé pour ces projets? Il peut s’agir de propositions relativement modestes visant à la hausse des transferts sociaux et à la réforme des assurances sociales, mais on peut aussi vouloir, beaucoup plus radicalement, sortir purement et simplement du capitalisme en supprimant le marché du travail et la domination du capital sur les travailleuses·eurs.
C’est guidé·e·s par ces quatre questions que nous avons cherché à clarifier les débats autour du RBI et de ses différentes variantes. Suivant l’articulation des réponses à ces questions, le RBI peut en effet se muer en proposition ultra-libérale ou en projet de réforme radicale et anticapitaliste. Et comme souvent, le diable se cache dans les détails…
Débats internes
Cette question du RBI a provoqué des débats animés au sein de la rédaction, débats dont ce dossier porte en partie la trace. C’est la raison pour laquelle nous ne défendons pas de position tranchée sur le sujet. Nous avons surtout essayé d’aborder le problème sous un maximum d’angles différents, parlant à la fois du travail en tant que valeur, des incitatifs liés au RBI, de l’allocation aux migrant·e·s, de la notion d’universalité ou du RBi dans la perspective du travail domestique.
Pages de gauche a également organisé un débat sur le revenu de base inconditionnel le 26 octobre 2012 au casino de Montbenon à Lausanne. Il a rassemblé Bernard Friot (Université de Paris-X), Yannick Vanderborght (Université libre de Bruxelles), Gabriel Barta (du réseau BIEN-Suisse) et Romain Felli (Pages de Gauche). Écouter le débat.