Présidentielle française: constats du premier tour et craintes du second

Léo Tinguely •

Le premier tour de l’élection présidentielle française a accouché d’un nouveau duel Macron-Le Pen. Bizarrement, on ne saurait dire si la campagne présidentielle a paru interminable ou si elle a semblé ne jamais véritablement commencer. Interminable par le crédit et la visibilité accordés par les médias à un candidat d’extrême droite dont le projet politique consiste en la déportation de millions de personnes et ne repose sur rien d’autre que la théorie complotiste et raciste du «grand remplacement». La campagne a paru ne jamais commencer du fait de la volonté tout aussi méprisante que calculée d’Emmanuel Macron d’empêcher tout débat sur son bilan et par la promesse qui nous était faite, depuis des mois déjà, de retrouver une fois encore la droite et l’extrême droite au second tour.


De la responsabilité de la gauche

Et pourtant, le scénario aurait pu s’avérer différent. En échouant à près de 1% de Marine Le Pen et en réalisant son meilleur score à une élection présidentielle (22%), Jean-Luc Mélenchon n’a pas été loin de franchir un palier supplémentaire. Avec une ligne beaucoup plus claire, débarrassée de son aile souverainiste et confusionniste, ainsi qu’un programme davantage abouti qu’en 2017, il aura été l’unique visage de la gauche lors de cette campagne. Hier, il aura notamment réussi à remobiliser et rassembler l’électorat populaire; son score dans les banlieues (61,13% à Saint-Denis ou 49,89% à Argenteuil), et plus généralement dans les villes, dans les outre-mer (56,2% en Guadeloupe et 40,9% à la Réunion) et auprès des jeunes (34,8 %), s’avère impressionnant.

Bien que la gauche ait, par le passé, déjà réussi à gagner en présence de candidatures multiples en son sein, il est aujourd’hui tout bonnement impossible de ne pas incomber la majeure partie de l’échec au reste des formations politiques. Avec pour seul souci de préserver l’espoir d’une future recomposition de la gauche autour de leur camp politique et de leur personne, Fabien Roussel, Yannick Jadot et Anne Hidalgo auront préféré entraîner Mélenchon dans leur chute plutôt que de voir la gauche empêcher l’extrême droite d’être présente au second tour. Les voir brandir l’urgence climatique et sociale à chaque sortie tout en pouvant se permettre le luxe d’y répondre dans cinq ans seulement aura été aussi ridicule que vain. Même sans aller à demander le retrait de leur candidature – dont celle du Parti communiste, réuni sous la candidature Mélenchon en 2012 et 2017, aurait pourtant largement fait sens – attendre de ceux-ci autre chose que de concentrer leurs dernières semaines de campagne sur des attaques à tout va vis-à-vis de Mélenchon n’avait rien de déraisonnable. Aujourd’hui, leur responsabilité et leur faillite politique, et désormais financière puisque les campagnes des candidat·e·s n’atteignant pas 5% des suffrages ne seront pas remboursées, sont immenses.

Néanmoins, Mélenchon n’incarnait pas non plus la candidature parfaite. Parti avant tout le monde, il n’a, lui non plus, jamais fait de réel pas vers les autres forces de gauche. Au moment du vote, il est probable qu’un bon nombre d’électrices·eurs ont eu en tête ses positions problématiques sur des thèmes aussi importants que la pandémie, l’indépendance de la justice et de la presse ainsi que la politique internationale. On peut à ce titre rappeler ses nombreuses sorties complotistes et ses flatteries à l’égard des antivax, mais encore son anti-américanisme primaire qui l’a conduit à maintes complaisances vis-à-vis de dictateurs, Vladimir Poutine et Bachar el-Assad en tête.

Une reconstruction entre dépit et espoir

Mais plus que tout, on peut reprocher à Mélenchon de n’avoir rien construit durant ces cinq dernières années alors qu’au sortir de 2017, il hérite déjà d’un champ de ruine et d’un boulevard pour rebâtir la gauche. À l’exception d’un petit groupe parlementaire d’opposition, il n’a absolument rien tenté. En 2022, la France insoumise a tout misé sur cette présidentielle en négligeant la préparation des élections législatives de début juin. À la sortie de ce scrutin, la gauche au sens large pèse un peu plus de 30%, tout comme la droite et l’extrême droite. Avec un mode de scrutin ne la favorisant pas, la gauche pourrait n’occuper que bien peu de sièges du Palais Bourbon.

Pour les législatives et comme Mélenchon le dit lui-même, il faudra «faire mieux». Car si le résultat de Mélenchon a bien évidemment été gonflé par le vote utile, la dynamique de fond ne trompe pas. Les Français·e·s ont dessiné hier le visage de la gauche qu’elles·ils voulaient, tout comme celui de celle dont elles·ils ne voulaient pas, ou plus. Les éléphants du PS ont encore beau faire mine de ne pas comprendre qu’ils assistent à l’enterrement de leur parti et de ce qu’il véhicule, rien n’y fera. Pour conquérir le pouvoir et offrir de vraies perspectives, il faudra un grand parti de gauche inclusif, démocratique, intersectionnel et résolument offensif. 

Maintenant que faire?

Macron devait être le barrage à l’extrême droite, il en aura été la rampe de lancement. En nommant un ministre de l’Intérieur reprochant à Marine Le Pen d’être trop molle, en adoptant en partie son vocabulaire, en menant une inquisition contre le prétendu «islamo-gauchisme» au sein des universités ou encore en réprimant brutalement tout mouvement de contestation, Macron est le grand artisan de la montée de l’extrême droite. Par pur calcul électoral, il l’aura renforcée.

Si l’envie de s’abstenir est forte et légitime, elle constitue aussi une posture de privilégié·e. Il n’est pas trivial de rappeler que la politique demeure une question de vie ou de mort. Il suffit pour cela de s’imaginer deux secondes tenter d’expliquer à une personne réfugiée que l’on n’a pas souhaité s’opposer frontalement à Marine Le Pen pour comprendre les limites de cette position. Contrairement à 2017, la possibilité de voir Marine Le Pen accéder au pouvoir ne relève pas de la fiction. Il vaut mieux combattre un président autoritaire qu’une présidente fasciste les cinq prochaines années. Si une droite au pouvoir peut toujours être vaincue lors d’élections, l’extrême droite n’en organise tout simplement plus.

Crédit image: Anthony Choren sur Unsplash.

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