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Précarisation du travail, migration et entrée dans la prostitution

Le débat politique sur la prostitution est dominé par deux grandes positions, qui peinent à rendre compte de la réalité des travailleuses du sexe. Si la position abolitionniste pèche par son côté misérabiliste et un accent malheureusement trop souvent mis sur la «vulnérabilité des femmes», la conception de la prostitution comme une forme de travail comme une autre est insuffisante, parce qu’elle ne permet pas d’étudier les personnes exerçant la prostitution comme marquées par une trajectoire spécifique, conditionnées par des facteurs tels que le sexe, l’origine sociale ou la nationalité. D’une certaine façon, elle «banalise» le milieu prostitutionnel. La réalité de ce milieu ne saurait être définie par une seule de ces conceptions. Pour le comprendre, il est important de se pencher en profondeur sur les raisons qui ont amené les femmes à entrer dans le travail du sexe, et avant cela, à migrer en Suisse. Pour appréhender le «travail du sexe» il faut le placer dans l’étude du marché du travail global et ses implications pour les femmes.

Précarisation et entrée dans la prostitution

Le marché du travail, que ce soit au Nord comme au Sud, fonctionne selon des logiques discriminatoires de sexe, de classe et de «race». Si la précarité, le chômage et le manque de protection sociale concernent l’ensemble de la population, ces phénomènes touchent majoritairement les femmes.

La migration et l’entrée dans la prostitution peuvent être analysées comme conséquences du processus d’exclusion progressive des femmes du marché du travail stable. Les personnes qui exercent la prostitution n’ont pas trouvé dans les activités socialement reconnues des conditions de travail et des salaires satisfaisants, et vendent leur force de travail de cette manière.

Il convient ainsi de s’intéresser au projet migratoire des prostituées. Quelles lacunes la migration et la prostitution sont-elles censées remplir? A quels besoins (objectifs, subjectifs, immédiats ou à long terme) répondent-elles? Les récits des travailleuses du sexe sont traversés par la recherche de moyens d’atteindre une situation financière stable leur permettant de subvenir à leurs besoins personnels et à ceux de leur famille. Comme par exemple avoir les moyens financiers de finir une formation, pourvoir à l’éducation des enfants laissés au pays, payer le traitement médical à des parents malades, créer une petite entreprise qui puisse assurer un revenu régulier, ou alors, tout simplement, maintenir un niveau de vie décent. Davantage que la contrainte directe de la part des réseaux d’exploitation de la prostitution, ou d’une situation de dénuement total dans leur pays d’origine, ce qu’elles mettent en avant c’est leur projet de vie: un projet qui leur apporterait la prospérité financière, ainsi qu’à leur famille, face à la crainte de «tomber» dans la pauvreté.

Sortir de la prostitution?

La sortie de la prostitution est trop souvent traitée comme une évidence, majoritairement conçue comme nécessaire et souhaitée par la société et les pouvoirs publics. Mais que gagnent les travailleuses du sexe en quittant leur activité? Il convient de se demander pour quelles raisons les prostituées sortent de la prostitution et quelles sont les conditions nécessaires pour cette sortie.

La majorité des femmes rencontrées dans le milieu prostitutionnel ne dispose pas d’une formation ni d’expérience de travail reconnue en Suisse. Face à l’incertitude de trouver des conditions et des satisfactions suffisantes dans une autre activité, la sortie de la prostitution n’est pas envisagée de manière définitive. La preuve de cela est le parcours même que certaines travailleuses ont dû suivre pour quitter la prostitution, parcours caractérisé par les allers-retours ou le cumul de deux activités, une avouée et légitime, et une autre cachée – la prostitution. Si le stigmate qui pèse sur l’activité prostitutionnelle les pousse à vouloir à tout prix quitter le travail du sexe, la possibilité n’est pas exclue d’exercer à nouveau cette activité si leur condition financière venait à se péjorer.

Une réflexion sur la sortie de l’activité prostitutionnelle doit intégrer les possibilités pour les femmes, et surtout les femmes migrantes, de trouver un emploi. Mais pas seulement. Il convient de se demander quels emplois et dans quelles conditions. Une vraie politique de réinsertion doit proposer des emplois stables associés à des conditions de travail équivalentes à celles de la majorité de la population, ainsi que des possibilités de terminer une formation. Dans les pays du Nord, cela signifie aussi donner la possibilité aux travailleuses immigrées d’accéder au séjour légal. La question prostitutionnelle oblige ainsi à formuler une réflexion qui interroge différents domaines: les politiques migratoires et les droits des personnes migrantes, l’inégalité entre femmes et hommes, ainsi que les attentes envers les conditions de travail.

 

Pour en savoir plus

Pour un argumentaire féministe des deux positions, voir les articles de Claudine Legardinier et de Gail Pheterson dans: Prostitution 1 et 2. In : HIRATA, H., LABORIE, F., LE DOARE, H., SENOTIER, D., (eds), Dictionnaire critique du féminisme, Paris, PUF, p.161-166.

Sur le travail du sexe: MATHIEU, Lilian (2002), La prostitution, zone de vulnérabilité sociale. In : Nouvelles Questions Féministes, vol. 21, n°2, p. 55-75. Dans cet article, l’auteur place la précarité de la société salariale au centre du débat sur la prostitution.

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