Vladimir Poutine est largement crédité d’avoir stabilisé l’économie russe depuis 2000. Cette croissance nouvelle se fait néanmoins sur des bases fragiles et ne profite pas à tout le monde.
La Russie est sortie exsangue des années Eltsine. Les idéologues néo-libéraux, que Joseph Stiglitz a appelé les «bolchéviques de marché», ont imposé une «thérapie de choc». La dérégulation quasi-totale de l’économie et les privatisations massives, ont fait chuter de manière dramatique le niveau de vie. Au plus fort de la crise (en 1998), le PIB russe était équivalent à 60% du niveau de 1990. Les conséquences sociales de cette crise ont également été douloureuses: un des plus forts taux de suicide, de meurtre et de criminalité au monde. Alors que vers 1989 l’espérance de vie était de 70 ans, en 1995 elle s’était effondrée à 64 ans. Parallèlement, la corruption s’est infiltrée à tous les niveaux de l’Etat, faisant chuter encore son efficacité et son unité.
Rebond économique?
A la fin des années 1990 la Russie semblait sur le point d’imploser. C’est dans ce contexte que prend place, en 2000, l’élection du successeur désigné de Eltsine: Vladimir Poutine. Rapidement, la situation économique se stabilise, et la croissance repart à la hausse, avec un taux supérieur à 5% par an. L’inflation est tenue sous contrôle, les comptes de l’Etat affichent un solde positif, et l’investissement redémarre (quoique dans une proportion moindre que la consommation). En parallèle, si les taux de suicide et de meurtres chutent, la criminalité connaît un renouveau. L’embellie serait due au fait que Poutine aurait dévié de la politique néo-libérale pour mettre en œuvre une reprise en main des entreprises privatisées par l’Etat. La part de l’Etat dans l’économie a ainsi augmenté (passant de 20% à 35% entre 2003 et 2007) et de nombreux secteurs stratégiques (énergie, ressources naturelles,…) sont désormais sous contrôle du gouvernement. Poutine est également crédité d’avoir évité la désagrégation totale du pays. Par une politique centralisatrice, il a mis au pas les potentats régionaux et réussi à recréer l’apparence d’un Etat central fort. A cet égard la guerre sanglante en Tchétchénie (que Poutine n’a pas débuté, mais qu’il prolonge) a toutes les apparences d’une démonstration de force à usage interne.
Ou apparence de rebond…
Néanmoins, cette reprise connaît des limites. Le cours nouveau n’a pas encore permis à la Russie de retrouver le niveau de PIB, d’investissement et d’espérance de vie qui étaient ceux de la fin de l’URSS. La croissance est fragile car reposant sur des bases instables (prix des matières premières, rouble sur-évalué, …). Les revenus de l’Etat, enfin excédentaires, ne sont pas utilisés pour développer les infrastructures publiques, l’éducation, les routes, etc., mais pour payer les dettes et baisser les impôts. Les inégalités de revenus inter-régionales augmentent fortement, de même que les inégalités sociales. Au final, il y a certes eu stabilisation et croissance de l’économie sous Poutine. Mais cette embellie n’est de loin pas partagée par tous. En fait, l’écart entre la situation économique des nouveaux riches (dont les «oligarques») et du reste de la population va croissant. Mais cette opposition économique ne se traduit pas dans une opposition politique, Poutine recueillant régulièrement 80% d’opinions favorables dans la population.
Si les explications du type de «l’âme russe» sont légion pour expliquer le maintien au pouvoir d’un autocrate, elles n’en sont pas moins racistes et insatisfaisantes. En réalité, la structure autocratique actuelle du pouvoir (quand bien même elle a un soutien effectif dans la population) sert les intérêts de la classe capitaliste et ne participe que très marginalement à l’amélioration des conditions de vie de l’immense majorité. Il est bien évident que la quasi-disparition de la démocratie en Russie, le musellement de l’opposition, ainsi que le laminage du mouvement ouvrier pèsent lourdement sur les possibilités d’organisation et de revendication des travailleurs, ainsi que sur la contestation du pouvoir. Au profit des plus riches.