Les enjeux liés à l’appropriation de la biodiversité se sont cristallisés à plusieurs moments. Parmi ces moments, le Sommet de la terre de 1992 à Rio constitue une étape très importante. A cette occasion, la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (CDB) a été signée. Cet accord international traite des questions et problèmes relatifs à la biodiversité. Il donnait déjà à voir, outre les différentes lignes de fracture entre les pays du Nord et du Sud, les intérêts économiques liés à la biodiversité et marquait le passage à une conception utilitariste de la biodiversité. Cette réduction du concept de diversité biologique à celui de ressources génétiques est nécessaire à une utilisation commerciale.
Le Sommet de la Terre
Ces deux notions ont longtemps été en concurrence. Ainsi en 1980, en concertation avec l’ONU, l’IUCN publie une « stratégie mondiale de la conservation ». Les trois objectifs principaux étaient « le maintien des processus écologiques essentiels et des systèmes entretenant la vie; l’utilisation durable des espèces et des écosystèmes; la préservation de la diversité génétique. ». Dans le rapport, il est mentionné que les réservoirs génétiques sauvages appartiennent au patrimoine commun de l’humanité. Sur la base de ce travail, un projet de Convention est préparé dès 1984. Les États doivent répertorier leur richesse biologique et sont vus comme des gardiens de celle-ci. Afin de financer ces efforts, le projet prévoit la création d’un fonds qui serait alimenté par les redevances sur l’utilisation des gênes à des fins commerciales. Ce fonds était pensé d’une part pour aider à conserver la diversité biologique, menacée par l’industrialisation et d’autre part pour aider les pays du Sud à remplir leur tâche de gardien de cette diversité.
La FAO est aussi engagée sur ces questions. Dès 1981, elle prépare une convention sur les ressources phytogénétiques et projette de créer une banque internationale de gènes. Cependant, elle n’éditera en 1983 qu’un « Engagement international sur les ressources phytogénétiques », construit autour de la notion de patrimoine commun de l’humanité. Cette dernière notion vise à rendre non appropriables les ressources phytogénétiques présentes dans les variétés cultivées et sauvages. Selon la FAO, la diversité biologique est trop importante pour la confier aux forces privées. Le droit des paysans et des communautés sur les semences et des matériaux biologiques qu’ils ont développés et préservés sont mis en avant. Parce que ce le système proposé par la FAO était en contradiction avec la logique des brevets et de la propriété industrielle, ce système n’a jamais fonctionné.
L’OMC au service des intérêts privés
A Rio donc les différents États négocient: contre le droit de prospecter, l’accès aux ressources génétiques, la reconnaissance des brevets et le devoir de veiller à la conservation, les pays en voie de développement ont obtenu la souveraineté sur les ressources génétiques, un système d’aide financière, et de transferts de technologies. Pour les pays industriels, l’objectif était de s’assurer l’accès à ces ressources génétiques: l’enjeu central n’était pas la conservation mais l’aspect commercial. Même si la CDB reconnaît l’importance des connaissances et des pratiques autochtones dans la conservation, d’autres articles en son sein rendent difficile la protection des connaissances.
La souveraineté des États sur les ressources génétiques est reconnue, tout comme la reconnaissance des brevets et autres droits de propriété commerciaux. Ces deux points ne sont pas contradictoires. Le cas d’école pour illustrer cela est l’accord de bio-prospection conclu entre la compagnie américaine pharmaceutique Merck, Sharp & Dohme, et l’institut national de la biodiversité (INBio) du Costa Rica. L’accord stipulait que INBio fournissait Merck en matériels biologiques provenant de zones protégés contre le versement d’1 million de dollars et d’une partie des redevances provenant des produits brevetés. En l’occurrence, l’État participe avec les acteurs privés à la privatisation du vivant.
Accumulation par expropriation
Ainsi les potentialités « communautaires » de la CDB ont été contrariées par l’évolution du rapport de force international et la roue a vite tourné en faveur du brevetage du vivant et de l’appropriation privée. Pour preuve, dès 1995 dans le cadre de l’OMC, des accords internationaux sur la protection des droits intellectuels (ADPIC) sont promus en particulier par les USA. Ceux-ci avaient d’ailleurs refusé de signer la CDB, sous prétexte que la convention ne reconnaissait pas les effets bénéfiques des droits de propriété privée sur la biodiversité. Ces ADPIC contiennent des dispositions régissant la protection des droits de propriété intellectuelle dans le domaine de la biotechnologie en se fondant sur l’utilisation des ressources biologiques.
Concrètement, cela signifie que les droits de propriété intellectuelle signifient que le matériel génétique ou des semences peuvent être brevetées au mépris du rôle historique et des pratiques de communautés et être utilisée contre ces dernières. Des fermiers peuvent être expropriés, du fait que les industriels ont réussi à aménager une nouvelle possibilité d’accumulation du capital. C’est-à-dire que des « inventions » communautaires ont été expropriées par et pour des intérêts exclusivement privés.