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PA 2011, en tracteur vers le libéralisme

La politique entretient des amours volatiles. Pendant que le pays se penche enfin sur le berceau prometteur des familles, le monde agricole entame, presque en silence, sa quatrième révolution.

Plantons d’abord le champ, le paysan et la charrue. La chute du mur de Berlin, en 1989, a eu des conséquences sur la politique agricole suisse. La sécurité de l’approvisionnement, précaution indispensable aux grandes peurs de la guerre froide, a fait place à d’autres inquiétudes. L’entretien du monde rural et la conservation des ressources naturelles passent en tête des préoccupations. Du coup, foin de la politique des prix garantis qui faisaient le beurre des paysans, la force de leur lobbys et la puissance des baronnies. De 1992 à 1998, soutenu par un scrutin populaire, le Conseil fédéral introduit des paiements directs non liés à la production, incite à la fourniture de prestations écologiques particulières et, déjà, remet en cause les règles de protection des frontières, en adéquation avec les objectifs de l’Organisation Mondiale du Commerce (voir Dossier Pages de gauche No 41).

La deuxième étape, au début des années 2000, accélère le processus: démantèlement des garanties des prix et subordination des paiements directs aux prestations écologiques. La dernière phase des réformes (2004-2007) se termine aujourd’hui, avec l’abandon du contingentement laitier et la mise en place de mesures d’accompagnement social pour faire face à la disparition brutale des exploitations agricoles. Trois étapes avec trois objectifs qui sonnent comme des slogans: «plus d’écologie», «plus de marché», «plus de compétitivité».

Ni charrue, ni boeufs

Résultat, le monde agricole vit depuis quinze ans une transformation aussi fondamentale que rapide, comme ne l’a subi aucun secteur économique en Suisse. Offert à la concurrence internationale, répudié par l’Etat, alors qu’il était pendant des années surprotégé mais ligoté pieds et poings par les conditions nationales (exigences écologiques, cherté du terrain, pression des grands distributeurs), le monde agricole se ratatine année après année. De 1990 à 2005, le nombre d’exploitations agricoles est passé de 93 000 à 63 000 unités. Ces profondes mutations n’auraient pas été possibles sans qu’une alliance ne se dessine, au niveau politique, entre les partisans du libéralisme qui décident de lâcher leur clientèle traditionnelle (radicaux et UDC en tête) et les adeptes de l’agriculture bio et de l’écologie.

Cette même alchimie nourrit le Rapport de politique agricole 2011. On supprime les subventions à l’exportation, on réduit les droits de douane perçus sur les aliments pour animaux, on introduit des paiements directs non liés à la production. Conséquences selon le Conseil fédéral: les prix baissent, le nombre d’exploitations aussi (c’est triste mais c’est la vie), et la compétitivité de notre agriculture explose. Prière d’applaudir.

25 000 signatures contre PA 2011

Il n’est pas question bien sûr de dispenser le monde agricole d’un examen politique des prestations qu’il doit fournir en échange des contributions publiques. Et la somme allouée à l’aide à l’agriculture, treize milliards tout de même, prévue dans PA 2011, est suffisante; les crédits sont identiques à ceux de 2004 alors que le nombre d’exploitations a diminué. Mais on peut légitimement se demander si la démonstration du Conseil fédéral – ouverture des frontières donc baisse des prix, donc plus d’écologie – frappe juste, et surtout au bon endroit. Rappelons tout de même que les prix aux producteurs ont baissé de plus de 25% ces dernières années alors que le prix au consommateur ne cesse d’augmenter. Sur ce sujet, silence du Conseil fédéral. Il n’est pas étonnant dès lors que les plus fervents partisans d’une libéralisation complète du secteur agricole se concentrent chez les grands distributeurs…

En Suisse, les organisations paysannes ont manifesté leurs craintes voire leur opposition à PA 2011. Une pétition, forte de 25’000 signatures, a été lancée par Uniterre, le syndicat paysan de Suisse romande. Selon le texte de la pétition, 32’000 familles paysannes seraient rayées du paysage puisque l’objectif du Conseil fédéral est d’augmenter la taille des exploitations agricoles au détriment des fermes de petite ou moyenne taille. Avec pour corollaire un transfert du travail agricole vers une main-d’œuvre facilement exploitable. Une main-d’œuvre à laquelle le Message PA 2011 ne consacre pas une seule de ces trois cents pages. Les 35’000 employés agricoles de ce pays n’auraient-ils aucun droit, aucune existence?

Nulle part non plus, le Rapport ne fait état de la revendication des syndicats pour une convention nationale de travail. Autre critique, et non des moindres, PA 2011 décourage les jeunes d’apprendre les métiers agricoles ou de reprendre le domaine familial; à la page 80 du Message, il est dit explicitement qu’«il convient de rendre l’insertion dans l’activité agricole moins attrayante, et d’autre part d’assouplir les réglementations qui entravent l’abandon de cette activité».Le débat politique ne fait que commencer. A la session de décembre, le Conseil des Etats examinera le Rapport, puis ce sera au tour du Conseil national dans le courant de l’année 2007. La réforme du monde agricole mérite un débat sans complaisance ni parti pris. Un terrain miné que la gauche ne peut laisser en friche.

 

 

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