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Marre de cette Europe-là?

duvalLa collection «conversations pour demain» aux éditions Textuel offre de courts et accessibles ouvrages sur des sujets d’actualité, sous forme de longs entretiens entre Régis Meyran et un spécialiste du domaine. Nous recommandons chaudement le livre publié récemment avec Patrick Tort sur l’actualité de Darwin, de la biologie et de la question du sexe et du genre (Sexe, Race et Culture , 2014).

Dans Marre de cette Europe-là?, c’est le rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques, un journal qui offre un point de vue de gauche très informé sur les questions économiques et sociales en France, en Europe et dans le monde, Guillaume Duval qui se prête au jeu de l’entretien.

En une petite centaine de pages, Duval retrace adroitement l’histoire de l’Union européenne, la question de l’euro et de la Banque centrale européenne, l’enjeu des dettes nationales et de la politique monétaire, mais aussi les défis de la réforme des institutions européennes, et de politiques industrielles à venir permettant de réussir la transition écologique tant souhaitée.

L’Union européenne a, à raison, mauvaise presse. Les politiques ultralibérales prônées par la Commission européenne, gardienne de l’orthodoxie budgétaire des pays, appuyée par la politique monétaire de la Banque centrale européenne, ainsi que des décisions inacceptables de la Cour de justice européenne (notamment en matière de droit du travail, arrêts Viking, Laval, etc.) font de cet ensemble une espèce de machine de guerre contre ce qui peut rester de volontés étatiques d’organiser un minimum de solidarité au travers de budgets publics. La gauche ne semble voir de salut dorénavant qu’en dehors de ce Moloch et les propositions de sortie de l’euro (pour les pays qui y sont entrés) font florès au sein de la gauche dite « radicale ».

Mais comme l’explique bien Duval, derrière ce mouvement d’humeur pointe un projet politique qui n’a rien d’enthousiasmant non plus. Le retour au contrôle national des monnaies risque bien de conduire à une spirale de dévaluation compétitive, chaque pays tentant sur une base corporatiste-nationaliste d’accroître ses exportations en dévalorisant le «coût» du travail par rapport aux concurrents. Et la rhétorique d’une «Europe des peuples» qui pourrait surgir de la décomposition de l’Union européenne ressemble un peu à la politique du pire.

La dernière partie de ce petit ouvrage, intitulé «une autre Europe est possible» tente au contraire de tracer les lignes d’un programme politique de gauche à partir des institutions européennes existantes et constitue à notre sens un guide très utile. Duval pointe les avancées récentes au sein de l’UE de la lutte contre les paradis fiscaux, et plus généralement, de l’harmonisation fiscale, ainsi que, plus modestement, des possibilités d’harmonisation sociale permettant de préserver les négociations collectives nationales existantes (à l’inverse des arrêts Laval et Viking). Il rappelle la nécessité d’assouplir les règles budgétaires contraignantes, permettant de faire en sorte que l’Union européenne puisse finalement se doter d’un vrai budget, permettant de mener une politique discrétionnaire et de s’endetter si nécessaire. Plus iconoclaste est sa proposition d’un «parlement de la zone euro» qui regrouperait des député·e·s issu·e·s de tous les parlements de pays ayant adhéré à l’euro et qui permettrait de reconstituer au niveau fédéral la souveraineté qui a été perdue en abandonnant les monnaies nationales.

Quoi qu’il en soit, ce que Duval souligne, c’est la nécessité pour la gauche en Europe de ne pas abandonner le projet européen aux dogmatiques libéraux et de ne pas retomber dans des perspectives strictement nationales qui loin de profiter aux travailleuses et travailleurs, les lient encore plus fortement avec leurs patronats nationaux.

En somme, Duval répète à 50 ans d’intervalle le message que la socialiste suisse Jeanne Hersch tentait difficilement de faire passer en son temps:

«Dans beaucoup d’autres pays, les socialistes attendent: ils veulent voir si l’Europe en gestation s’oriente “à gauche” ou “à droite” pour décider ensuite s’ils veulent en être – négligeant le fait qu’il dépend encore de leur action, justement, qu’elle s’oriente “à gauche” ou “à droite”; lorsqu’ils la constateront “à droite”, un jour, il sera peut-être trop tard pour intervenir et ils ne seront pas innocents.» (Jeanne Hersch, Idéologie et réalité, Paris, Plon, 1956, p. 248)

 

Romain Felli

 

À lire: Guillaume Duval, Marre de cette Europe-là?: Moi aussi(entretien avec Régis Meyran), Paris, Textuel, 2015

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