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Mai 68: se souvenir, apprendre et reconstruire

Il faut noter les ressemblances entre juin 36 et mai 68 en France. Dans les deux cas, une grève immense paralyse le pays, les travailleurs et les travailleuses s’organisent sur leurs lieux de travail, développent de manière autonome des demandes, des analyses, des revendications politiques. Dans les deux cas, c’est une «brèche», une rupture radicale avec l’ordre établi qui prend place. La bourgeoisie, la droite prennent peur, mais autant que la bourgeoisie, c’est la gauche stalinienne, avant-gardiste, qui ne comprend pas et qui craint pour son monopole.

Dans l’opinion de la gauche stalinienne, le prolétariat, c’est-à-dire les travailleuses et les travailleurs, sont incapables de comprendre une situation, de s’organiser et d’articuler des revendications. Ils doivent être instruits, encadrés, dirigés et surtout soumis à l’appareil, au parti qui sait mieux qu’eux, qui sait pour eux, ce qu’ils doivent faire.

En juin 36 comme en mai 68, l’appareil d’encadrement staliniste montre son aspect monstrueusement autoritaire et réactionnaire: il met tout en œuvre pour que cesse la démocratie venue d’en bas, la grève générale spontanée. En 36, c’est Maurice Thorez déclarant qu’«il faut savoir arrêter une grève dès que satisfaction a été obtenue». En 68 c’est Georges Marchais écrivant dans L’Humanité du 3 mai un article violent intitulé «De faux révolutionnaires à démasquer», où il s’en prend par exemple à «l’anarchiste allemand Cohn-Bendit». Quant au socialisme démocratique, il brille par sa pusillanimité et son manque d’enracinement dans la classe ouvrière (à quelques notables exceptions près).

Dans ces deux cas pourtant, comme en 1871, comme en Allemagne en 1918-1919, comme à Budapest en 1956, c’est la voix de la liberté et de la démocratie qui s’élève.1968 c’est la volonté de rompre avec les hiérarchies, avec l’autoritarisme, avec le patriarcat, avec la domination au travail, avec l’aliénation. 1968 en France, c’est la plus grande grève de l’histoire de France comme nous le rappelle Gérard Filoche dans ce numéro, et non pas seulement une «contestation étudiante» comme essaient de le faire croire (en supposant que cela est méprisant) les réactionnaires d’hier comme d’aujourd’hui.

La gauche doit absolument cultiver la mémoire de ces moments de rupture, où s’incarne tout à coup concrètement la possibilité de changer la société, de changer les rapports économiques et sociaux inhumains, où le socialisme se réalise soudainement en actes et pas seulement en paroles. Mais la gauche doit se souvenir des échecs qu’elle a enduré par manque de courage, par peur de la démocratie et de l’autogestion, par retenue mal placée.

Comme elle devra à l’avenir se souvenir de ce qui s’est passé ces jours au Tessin. Un saut en Suisse, quarante après, nous mène presque naturellement chez les ouvriers de CFF-Cargo à Bellinzone, qui ont mené une lutte exemplaire, occupant un mois durant leur atelier. Courage, détermination, conscience ouvrière et gestion ouvrière du conflit, intransigeance face aux manœuvres patronales et politiques (y compris à gauche) visant à étouffer leurs revendications dans l’œuf, soutien populaire sans précédent… Autant d’éléments qui s’inscrivent directement dans le principal héritage politique et social de mai 68. Mais dont, surtout, la gauche doit définitivement se convaincre qu’elle doit s’en nourrir! C’est par des mouvements désormais considérés historiques, et du même acabit que celui de Bellinzone, qu’est né le socialisme. C’est là son essence, c’est là sa raison d’être, c’est là son objectif. S’en souvenir est un devoir pour la gauche, le cultiver une nécessité.

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