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L’Office fédéral des migrations discrimine selon le pays d’origine les étudiant·e·s étrangères·ers admis·es en Suisse

Lors de demandes de visas d’étudiant·e·s, les ressortissant·e·s de certains pays se voient régulièrement déboutés. Dans la plupart des cas, les requérant·e·s ont été au préalable acceptés par un établissement universitaire suisse, par le Service cantonal de la Population et présentent des dossiers irréprochables selon les exigences administratives fédérales. Pourquoi celles et ceux-ci sont-elles·ils alors régulièrement rejetés? Eclairage sur une pratique discriminatoire.

Lyonel*, 24 ans, est un étudiant haïtien. Ses études en sociologie à l’Université d’État de Port-au-Prince se sont brusquement arrêtées à la suite du tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui a ravagé la capitale haïtienne et détruit la quasi totalité des infrastructures étatiques. À la suite de cette catastrophe, Lyonel participe à un programme de bourse d’études initié par le Sénégal au nom de la coopération et de la solidarité pour la reconstruction d’Haïti. Après avoir achevé un Bachelor à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et ne pouvant pas poursuivre ses études au Sénégal, il décide de postuler à l’Université de Lausanne pour un master en politique sociale et développement social. Son choix s’est porté sur la Suisse car le cursus proposé est pertinent dans son projet de retour en Haïti afin d’aider à la reconstruction de son pays mais également parce qu’il a de nombreux amis et contacts en Suisse, dont une famille d’accueil qui accepte de l’assumer financièrement. Cependant, malgré son admission à l’Université de Lausanne et l’acceptation de sa demande de visa par le service de la population (SPOP) du canton de Vaud, son dossier a été transféré à l’office fédéral des migrations (ODM), qui a en dernière instance, refusé son entrée en territoire helvétique.

Plusieurs étudiant·e·s haïtien·ne·s, algérien·ne·s, camerounais·es, rwandais·es ou encore pakistanais·es, tou·te·s accepté·e·s par un établissement universitaire suisse et par le SPOP du canton concerné, ont été ensuite déboutés par l’ODM. Plusieurs ont fait recours au Tribunal administratif, sans succès.

Habituellement, c’est à l’autorité cantonale d’émettre la décision finale sur les demandes de visa, incluant donc les visas étudiant·e·s. Cependant une liste existe, répertoriant des pays pour lesquels les ressortissant·e·s admis·es en vue d’une formation sont soumis non pas à l’autorité cantonale mais fédérale. Cette liste serait composée de pays «pour lesquels l’expérience des autorités montre qu’il existe un risque élevé de migration indésirable ou d’autres abus»1 selon le Conseil fédéral.

Lors de recours contre les décisions de l’ODM, le Tribunal administratif fédéral a d’ailleurs statué que «s’agissant des étudiants étrangers admis à séjourner sur sol helvétique, l’expérience démontre que ceux-ci ne saisissent souvent pas l’aspect temporaire de leur séjour en Suisse et cherchent, une fois le but de leur séjour atteint, à s’établir à demeure dans ce pays, n’hésitant pas à utiliser tous les moyens à leur disposition pour tenter de parvenir à leurs fins»2.

Le motif de refus des visas étudiants est donc la méfiance, une suspicion constante qui tend à considérer que tout étrangère·er veut à tout prix s’infiltrer presque délictueusement en Suisse et que cela serait nuisible pour la société suisse. De plus, le Tribunal administratif argumente que «confrontées de façon récurrente à ce phénomène et afin de prévenir les abus, compte tenu également de l’encombrement des établissements (écoles, universités, etc.) et de la nécessité de sauvegarder la possibilité d’accueillir aussi largement que possible de nouveaux étudiants sur le territoire de la Confédération, les autorités sont tenues de faire preuve de rigueur dans ce domaine»3.

 

Seulement, l’argument de «l’encombrement des établissements» est réfuté par l’existence même de la liste. En effet, si l’étudiant·e avait déposé le même dossier avec à la place d’un passeport haïtien, un passeport canadien ou malien par exemple, son visa aurait seulement passé par le SPOP et aurait donc été accepté. Cette discrimination sur la base d’une nationalité est donc une pratique hautement condamnable, qui va à l’encontre même de la Constitution suisse en matière d’égalité des chances.

À l’heure où les échanges internationaux entre universités et autres accords Erasmus sont plébiscités et encouragés par les autorités suisses, il est profondément paradoxal d’interdire à certain·e·s ressortissant·e·s étrangère·ers le droit de choisir leur lieu d’études et de restreindre leur accès aux établissements suisses au moyen d’une liste pour le moins contestable et discriminatoire. Il est aujourd’hui plus que temps d’arrêter de diaboliser tout·e étrangère·er souhaitant venir sur le sol helvétique. Il faudrait également réfléchir à ce que ces étudiant·e·s étrangère·ers peuvent apportent aux universités suisses et à la société suisse tout entière, et valoriser les filières master en accordant les visas nécessaires aux étudiant·e·s étrangères·ers. En outre, l’idée selon laquelle tout·e étudiant·e étrangère·er est de facto suspect·e de commettre un «abus» est profondément condescendante: plusieurs de ces étudiant·e·s rentrent effectivement dans leur pays dès l’obtention de leurs diplômes, tandis que d’autres décident de rester en Suisse ; choix qui devrait être respecté selon les opportunités, les droits et les volontés propres de ces dernier·ère·s.

 

Par cette liste, l’Office fédéral des migrations renie l’égalité d’accès à la formation aux étudiant·e·s étrangères·ers selon leur nationalité. Pour Lyonel, la seule option est de rentrer en Haïti sans avoir pu compléter la formation académique qu’il souhaitait achever. Aujourd’hui, presque quatre ans après le tremblement de terre, de nombreuses institutions haïtiennes dont l’Université d’État de Port-au-Prince, sont toujours en état de dysfonctionnement chronique. Ses perspectives de poursuites d’études sont donc minces. Aujourd’hui, ce qu’il lui reste est l’idée amère que si son pays ne figurait pas sur cette liste de l’ODM, il aurait pu étudier en Suisse[CB1] .

 

Célia Burnand

 

*Prénom d’emprunt

1 Réponse du Conseil fédéral à un objet parlementaire, 24 juin 2009.

2 Arrêt du 14.08.2008 du Tribunal administratif fédéral, C-470/2006.

3 Ibid.

 

Image: http://www.bfm.admin.ch/content/dam/data/bfm/rechtsgrundlagen/weisungen/auslaender/verfahren/1-zustimmungspfl-studierende-f.pdf

 


[CB1]Je n’ai pas insisté sur la reconnaissance des formations dans les pays du Sud car dans le cas de Lyonel, son Bachelor avait été reconnu par l’Université de Lausanne.

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