Après ses nombreuses exactions l’été dernier à l’encontre du mouvement d’opposition à la «Loi travail», la police française a de nouveau fait parler de sa brutalité et de son arbitraire ces dernières semaines. Nous republions ici la recension du livre La domination policière de Mathieu Rigouste, parue dans nos pages il y a quelques temps mais toujours d’une cruelle actualité : face aux discours étatiques et policiers et en soutien aux mobilisations populaires contre l’impunité des forces de l’ordre, il s’agit en effet de rappeler que cette violence de la police, loin d’être un «accident», fait système.
Considérer les violences policières dans les banlieues françaises non comme des «bavures», ruptures accidentelles d’une normalité paisible, mais comme révélatrices du système rationnellement organisé de coercition étatique dont elles marqueraient la pointe extrême: c’est sur la base de cette hypothèse que Mathieu Rigouste examine la généalogie et les transformations actuelles de ce qu’il appelle La domination policière. Conjuguant l’expérience vécue du jeune des dits «quartiers sensibles» (il a grandi à Gennevilliers, une banlieue ouvrière de Paris) à la rigueur académique du docteur en sociologie, l’auteur prend soin de se distancier de la «sociologie d’État» et de partir de la réalité vécue par les classes populaires, et en particulier par leurs fractions les plus marginalisées, issues de la colonisation et ségréguées en banlieue, que les discours politiques et médiatiques constituent en «nouveaux ennemis intérieurs».
Première démonstration, les techniques policières de contrôle et de répression des «mauvais pauvres» des banlieues sont largement inspirées des pratiques coloniales de la France en Algérie, à commencer par le modèle de contre-insurrection de la «Bataille d’Alger»: encerclement massif d’une zone (la Casbah) afin de la couper de l’extérieur, puis intervention ciblée à l’intérieur pour en extraire les «délinquants» (les chefs du FLN).
À cette généalogie coloniale et militaire s’ajoutent dès les années 1970 les effets du nouveau management néolibéral: la police doit désormais être plus «productive» et «rentable», quitte à délibérément provoquer des flagrants délits susceptibles de doper les chiffres (par exemple en abusant de l’artificiel et invérifiable délit de «cris et vociférations»). Parallèlement, un nouvel arsenal d’armes «non-létales» (Flash-Ball, Taser, etc.) est progressivement mis à sa disposition par des sociétés privées, et testé sur le terrain par les policières·ers: les quartiers populaires deviennent ainsi à la fois le laboratoire et la vitrine de ce lucratif «savoir-faire français en matière de maintien de l’ordre» que Michèle Alliot- Marie espérait vendre à Ben Ali début 2011…
Et en Suisse? Si la situation semble a priori assez différente, on aurait tort de se croire à l’abri de ce «socio-apartheid» à la française qui croit résoudre policièrement des problèmes sociaux. Nos lectrices·eurs ont certes peu de craintes à avoir face à la police; on ne peut malheureusement pas en dire autant des dealers noirs, mendiant·e·s Roms, sans-papiers et autres «réfugié·e·s économiques», qui eux constatent quotidiennement que «les frontières tracées par la violence policière [désignent] clairement ceux qui [appartiennent] à la caste des humains légitimes et les autres, sujets sans valeur ni droits, que l’État peut abîmer ou détruire».
Gabriel Sidler
À lire : Mathieu Rigouste, La domination policière. Une violence industrielle, Paris, La Fabrique, 2012.