Libérer les logiciels

Nicolas Mermoud •

Le mouvement du logiciel libre (free software) est né au début des années huitante sur la base d’un objectif initial multiple: défendre l’ouverture des logiciels (c’est-à-dire l’accès au code source) ; favoriser la collaboration et le partage entre développeuses·eurs, notamment à travers une auto-organisation des collectifs de travail ; permettre aux utilisatrices·eurs de garder le contrôle de leurs objets techniques, en particulier des outils informatiques ; protéger les libertés individuelles et favoriser la production de technologies socialement utiles.


Pour qu’on puisse à proprement parler de logiciel libre, un logiciel doit ainsi pouvoir être utilisé, copié, modifié et distribué librement. La liberté qui est ainsi offerte de pouvoir «bidouiller» les logiciels doit permettre aux utilisatrices·eurs de contrôler leurs machines plutôt que d’être contrôlé·e·s par elles. C’est un moyen d’affirmer un rapport actif aux technologies, à l’encontre du consumérisme technologique qui constitue actuellement le rapport dominant aux objets techniques.

Issus d’un mouvement aux tendances libertaires marqué par la figure emblématique de Richard Stallman – initiateur du projet de système d’exploitation libre GNU/Linux, les logiciels libres étaient à l’origine marginaux.

Aujourd’hui, ils comptent parmi certains des logiciels les plus utilisés au monde: ils sont notamment au fondement d’Internet, et les services des plus grandes entreprises du numérique sont directement propulsés par des logiciels libres. Un exemple: le cloud, cette entité nébuleuse implicitement présentée comme immatérielle, n’est rien d’autre qu’un gigantesque réseau de centres de données exploités avant tout par des entreprises multinationales privées, dont l’infrastructure – système d’exploitation des serveurs, bases de données, applications web – fonctionne en premier lieu au moyen de logiciels libres.

Le libre est partout

D’autres outils plus directement perceptibles par le public sont également basés sur des logiciels libres, par exemple le navigateur Chrome et le système d’exploitation pour téléphones et tablettes Android. Ceux-ci sont agrémentés par Google de fonctionnalités supplémentaires propriétaires, intimement liées aux services proposés par l’entreprise californienne (moteur de recherche, messagerie électronique, gestion des contacts ou des bibliothèques de photos, cartes…) et destinées avant tout à permettre la récolte et l’exploitation des données personnelles des utilisatrices·eurs, pris·es au piège d’une cage dorée.

Le succès technique du logiciel libre n’est aujourd’hui plus à démontrer. Pourtant, ce sont avant tout les services proposés par les grandes entreprises privées autour de ces logiciels qui sont à disposition des utilisatrices·eurs finales·aux: Chrome et Android occupent ainsi chacun une place prédominante dans leur secteur respectif: environ 60% des navigateurs web pour Chrome (tous appareils confondus) ; environ 80 % des smartphones pour Android.

Défendre les logiciels libres

Le logiciel libre en soi ne suffit pas à protéger le public de la menace que représentent les grandes entreprises du numérique. Un travail d’information sur les alternatives vraiment libres existantes (Firefox pour les navigateurs, LibreOffice pour la bureautique…), accompagné d’une réflexion collective et d’actes politiques pourrait permettre de réduire la dépendance des utilisatrices·eurs, qu’il s’agisse des institutions publiques, du secteur privé ou des citoyen·ne·s.

Qui plus est, au-delà du logiciel, le mouvement du libre stimule aussi la création d’alternatives dans des secteurs aussi variés que l’électronique, la santé et la construction (avec le «matériel libre»), en passant par la culture (encyclopédie collaborative Wikipédia) et la recherche (Open Science).

Là, il est à même d’ébranler les oligopoles dont la «loi du marché» a favorisé l’émergence au détriment du bien public.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 173 (automne 2019).

Crédits image: Radowan Nakif Rehan sur Unsplash.

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