LOffice fédéral de la statistique (OFS) publiait récemment les premières statistiques de laide sociale. Une étape importante pour mieux connaître la pauvreté dans notre pays.
220’000 personnes ont bénéficié en 2004 dune aide sociale, ce qui correspond à un taux daide sociale de 3%. Les chiffres de lOFS font apparaître de fortes différences entre les centres urbains (5%) et les communes rurales (1,6%). La statistique confirme ce que dautres études avaient déjà relevé: les jeunes de 0 à 17 ans sont surreprésentés parmi les bénéficiaires de laide sociale (31,6%, alors que leur part dans la population est de 20,5%). Ces jeunes appartiennent majoritairement à des familles monoparentales (56% des enfants soutenus) et, pour un cinquième dentre eux, à des familles de trois enfants ou plus. Les jeunes adultes de 18 à 25 ans, avec un taux de bénéficiaires de 3,9%, sont également surreprésentés. A noter que 63% des jeunes adultes nont pas de formation professionnelle achevée. Létat civil exerce une grande influence sur le risque de devoir recourir à laide sociale: les personnes divorcées y ont plus fréquemment recours que les personnes mariées ou célibataires. Quant aux étrangers, ils représentent 43,7% des personnes soutenues, tandis que leur part dans la population nest que de 20,5%.
La publication de lOFS est un événement, ne serait-ce que parce quil a fallu de longues années pour réunir et harmoniser tant bien que mal les données nécessaires à son élaboration. Quon en juge: Berne, Grisons, Soleure, Thurgovie et Zürich ont livré des données basées sur un échantillon de leurs communes. Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Fribourg, Genève, Vaud et Valais nont pas pu livrer de renseignements sur létat-civil des bénéficiaires. Les résultats dArgovie, Fribourg et Soleure nont pas été pris en compte pour calculer la durée des aides, etc Cette situation reflète logiquement le caractère hétérogène de lorganisation de laide sociale de notre pays qui est exclusivement laffaire des cantons et des communes. En Romandie, les législations cantonales définissent un cadre dapplication strict et centralisent le financement du système, soit par le biais du budget cantonal, soit par un système péréquatif entre les communes. En Suisse alémanique, le cadre légal donne une plus grande latitude dorganisations aux communes et leur fait supporter directement une grande partie des coûts.
Un système décentralisé
Sur le plan national, cette hétérogénéité du système a deux conséquences. Premièrement, il explique la difficulté rencontrée par les pouvoirs publics à présenter une image cohérente et fiable de la situation; il est également très loin de garantir légalité de traitement entre les bénéficiaires au plan national. Le fonctionnement des multiples administrations chargées de servir les prestations daide sociale est en effet très disparate dans leurs méthodes de travail. Chaque législation cantonale définit à chaque fois un cercle différent de bénéficiaires et propose des barèmes particuliers. Enfin, les moyens accordés à ces administrations pour accomplir leurs tâches sont également très divers. Deuxièmement, labsence de système centralisé est une invitation formidable pour les grandes assurances fédérales à réduire leurs charges sans avoir à se préoccuper des conséquences. Il est de plus en plus difficile dobtenir une rente de lassurance-invalidité et les délais nécessaires aux offices pour traiter les demandes sont toujours aussi longs. Les conditions pour prétendre à des indemnités de lassurance-chômage sont également de plus en plus sévères au fil des différentes réformes légales, en particulier pour les primo-demandeurs demploi qui sortent de formation et pour les chômeurs de longue durée. Labsence totale de responsabilités pour la Confédération dans le domaine de laide sociale agit encore comme un frein puissant à la mise en place sur le plan national dun système dallocations familiales offrant une couverture raisonnable des coûts à la charge des familles.
Les reports de charge
La croissance du nombre dassistés et des coûts quils représentent est donc alimentée depuis plusieurs années par des décisions prises dans dautres domaines de la sécurité sociale helvétique. Le déséquilibre politique entre les autorités chargées dadministrer lassurance-chômage et lassurance invalidité dune part, et celles qui sont responsables de laide sociale dautre part, rend également très difficile la coopération entre les administrations concernées. La «collaboration interinstitutionnelle», leitmotiv des hauts responsables fédéraux et cantonaux en charge de la sécurité sociale, toujours présentée comme la solution permettant de renforcer lefficacité et la coordination entre les différents régimes, est un échec depuis dix ans, tant les rapports de force entre les différents partenaires sont inégaux. Linscription dun véritable droit à laide sociale dans la Constitution fédérale et une responsabilité claire de la Confédération dans ce domaine seraient source dégalité de traitement au niveau national et defficacité accrue entre les acteurs essentiels de notre sécurité sociale. Ce projet est aujourdhui une nécessité pour la gauche helvétique. Il serait en mesure denrayer fortement les processus de diminutions de prestations en cours dans certaines de nos grandes assurances sociales, ce qui est une cause directe de la paupérisation dune partie de la population. Il permettrait aussi davoir une meilleure connaissance de la pauvreté et de ses causes, et faciliterait la réflexion sur les solutions à y apporter. Par exemple, une statistique nationale digne de ce nom révélerait lampleur du phénomène des travailleurs pauvres et augmenterait la pression politique pour étendre et renforcer les conventions collectives de travail ou instaurer un salaire minimum au plan national.