0

Le rôle de Blocher

Dan Gallin, membre du comité de Pages de gauche, répond à notre article : Il faut sauver l’informaticien de la banque Sarasin.


L’article que la rédaction consacre à « L’affaire Hildebrand » frappe surtout par son absence d’analyse du contexte politique, pourtant essentielle si on veut comprendre ce qui est en train de se passer. Celles et ceux qui ont raté le début pourraient croire qu’il s’agit d’un fait divers où un riche bourgeois s’est fait prendre la main dans le sac en train de commettre un abus de pouvoir pour s’enrichir davantage. Scandale ! Heureusement qu’un Conseiller national, « un peu remuant », Christoph Blocher, a fait son travail de parlementaire – et « il faut admettre qu’il l’a bien fait ».

La rédaction estime que la « gauche bien pensante » – j’espère en être, puisque je m’efforce de penser bien – refuse de soutenir Blocher parce qu’elle croit que, com

me c’est lui qui a utilisé l’affaire, « ça doit cacher quelque chose ». En fait, tout le monde sait ce que cela cache. Tout le monde sait depuis des mois que Blocher intrigue contre la Banque nationale suisse, non pas par souci de transparence, mais tout au contraire, parce que la BNS, sous la conduite de Hildebrand, a osé préconiser la réglementation du système bancaire, en premier lieu des grandes banques. Et derrière la BNS, c’est bien entendu la « traître » Widmer-Schlumpf qui est visée. Ceci est un fait politique, pas une histoire personnelle qui n’aurait « strictement aucune importance ».

Hildebrand – par arrogance, inconscience ou négligence, peu importe – a prêté le flanc à la manœuvre de Blocher, et de son chien d’attaque Köppel de la Weltwoche, pour se faire déboulonner, non pas à cause de ses défauts, mais justement à cause de ses qualités, qui dérangeaient la clique des banksters dont Blocher est le complice et le porte-parole politique.

Le PS ne devait évidemment pas se joindre à cette manœuvre. Je me félicite que Christian Levrat demande que Blocher et la Weltwoche soient traduits en justice. La rédaction croit que le fait que le secret bancaire ait été violé par l’informaticien de la Banque Sarasin (un membre de l’UDC, dont elle fait un héros) est une bonne chose et elle appelle les autres employé·e·s de banque à suivre son exemple. Pardon, est-ce qu’il s’agit ici du secret bancaire ou d’un contrat de travail ? Est-ce que nous sommes dans un État de droit ou non ? Est-ce que toutes les clauses de confidentialité, dans de nombreux contrats de travail, sont illégitimes ? Est-ce que la gauche a intérêt à créer des « exceptions » à l’État de droit, qui aboutissent à sa subversion ? Est-ce que la gauche a intérêt à introduire le régime de l’arbitraire ?

Il n’y a pas lieu de « gracier » l’informaticien UDC, ni ceux qui l’ont téléguidé et qui restent à identifier, ni l’avocat UDC Lei qu’il est venu voir avec les données du compte Hildebrand, ni Blocher « qui ne fait que transmettre », ni Köppel, le chien qui mène la meute (la Basler Zeitung est également contrôlée par Blocher).

La rédaction croit « développer un point de vue de gauche sur le sujet » en s’offusquant de la richesse du couple Hildebrand, et encore plus du fait que le gain de l’opération de change représente des clopinettes par rapport à la fortune du couple. Or, la fortune du couple Hildebrand n’est pas un fait politique. Le fait politique, c’est les prises de position de Hildebrand à la tête de la BNS.

La Suisse croule sous le poids de ses milliardaires. C’est certainement un fait politique, et il dépasse de loin le cas Hildebrand. Quand Blocher, l’un de ces milliardaires, défend ses intérêts et de ceux de son clan, c’est aussi un fait politique. Pourquoi n’y-a-t-il pas un cas Blocher ? Qu’en est-il, par exemple, des circonstances qui ont permis à Blocher de prendre le contrôle de Ems Chemie, autre fait politique, autre scandale. Chargé de la justice de ce pays, Blocher a toujours bloqué toute enquête à ce sujet.

Ce qui semble irriter le plus, c’est le côté cultivé, grand bourgeois distingué des Hildebrand (galeries d’art, etc.), contrairement à Blocher, en manches de chemise, collectionneur d’Anker, qui n’a jamais prétendu à aucune forme de distinction. La haine de classe est un moteur aveugle qui peut propulser autant le populisme de gauche que celui d’extrême droite. La lutte des classes, et le socialisme, c’est autre chose. S’il est vrai que les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis, cela vaut aussi pour l’UDC. Ce parti ne saurait être notre alliée en quelque circonstance que ce soit.

L’UDC, notre Tea Party à nous, marche à la peur et à la haine, s’appuyant sur une masse populaire enragée manipulée par un milliardaire. Merci, on a déjà donné. Rien avec l’UDC, jamais. Le Blochérisme ne passera pas, et pour qu’il ne passe dans la société, il faudra s’assurer d’abord qu’il ne passe pas dans le PS.


La rédaction répond à Dan Gallin: La gauche, Blocher et Hildebrand


webmaster@pagesdegauche.ch

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *