Le mouvement paysan en Inde – Une perspective militante

Entretien avec Jasdeep Singh •

Pour en savoir plus sur le mouvement social paysan en Inde et leurs luttes contre les nouvelles lois agricoles, Pages de gauche s’est entretenu avec Jasdeep Singh, rédacteur, collaborateur et traducteur régulier du journal de la base du mouvement, Trolley Times.


The original interview in English is available here.

Qu’est-ce qui a déclenché le mouvement de contestation des paysan·ne·s indien·ne·s et que s’est-il passé depuis?

Ce qui a lancé le mouvement, c’est la pression exercée en 2020 par le BJP (le parti nationaliste hindou du président Narendra Modi) pour mettre en œuvre trois nouvelles lois agricoles néolibérales. Les nouvelles lois sont destinées à démanteler un système bien huilé de réglementations agricoles et de marchés publics qui protégeait les petit·e·s agricultrices·eurs en Inde, par exemple en assurant des prix spécifiques stables pour leurs récoltes.

Les nouvelles lois facilitent l’entrée brutale d’entreprises dans le secteur de l’agroalimentaire. Les agricultrices·eurs n’auront aucun recours juridique possible pour régler d’éventuels litiges avec des entreprises privées. Le gouvernement actuel est devenu beaucoup plus agressif que les précédents avec l’introduction destructrice du capitalisme de libre marché dans tous les domaines possibles. Les syndicats paysans demandaient également une réforme agricole, mais le gouvernement a préféré céder directement le secteur agricole aux entreprises privées et en y introduisant des pratiques d’agriculture contractuelle qui, à terme, retireront à la majorité des agricultrices·eurs leur moyen de subsistance (ce type de contrat force les produtrices·eurs à s’engager à vendre à un prix fixe une quantité donnée de leur production dans le futur, déplaçant ainsi sur la petite paysanneries les risques climatiques ou phytosanitaires pouvant avoir un effet sur les récoltes).

Ces politiques font partie des « réformes structurelles » introduites par l’OMC (Organisation mondiale du commerce) après 1991 en Inde. Depuis, les syndicats, notamment ceux des agricultrices·eurs, se sont prononcés contre la privatisation des services publics comme les routes, les infrastructures de santé ou d’éducation. Les habitant·e·s de la région ont découvert qu’à cause des nouvelles réformes, les services d’éducation ou de santé sont devenus hors de prix, et que par conséquent, l’entrée de grandes entreprises dans le marché agroalimentaire les obligerait à quitter leurs terres. Jusqu’à présent, elles et ils ont pu faire pression sur le gouvernement pour qu’il indemnise les agricultrices·eurs en cas de mauvaises récoltes, d’inondations ou de subventions pour l’électricité.
Ces nouvelles lois vont également démanteler le système de distribution publique qui assurait un accès rationné à l’alimentation pour les personnes les plus pauvres. Les ouvrières·ers agricoles dit·e·s «sans-terre» se sont donc joints aux petit·e·s paysan·ne·s [possédant des terres] dans leur lutte contre la mainmise du grand capital sur le secteur agricole, souhaitée par le gouvernement BJP. Les trois lois agricoles visent à démanteler le système de distribution public et à supprimer le filet de sécurité alimentaire du pays assuré par le gouvernement. Elles sont destinées à ouvrir la voie aux grandes entreprises, comme Adani Reliance, sur le marché de l’agrobusiness.

Quel a été le rôle des syndicats paysans dans la mobilisation?

La contestation a commencé par les réactions coordonnées de 31 syndicats qui ont formé une coalition (Sanyukt Kisan Morcha) pour lutter contre ces réformes. Le 27 septembre 2020, les trois projets de loi ont été adoptés à la hâte par le parlement avant d’être appliqués. À ce moment-là, les syndicats du Pendjab – l’État où la réaction a été la plus forte – avaient déjà commencé à occuper les centres commerciaux et les silos à grains du conglomérat agro-industriel Adani. Cette entreprise a été ciblée en particulier, car elle bénéficiera énormément des réformes agricoles et qu’elle représente une importante source de financement pour le BJP. Le syndicat a également organisé un piquet de grève au domicile du président du principal parti sikh de centre droit, le Shiromani Akal Dal (SAD) (un parti surtout représenté au Pendjab). La réaction du public au Pendjab a été telle que les dirigeants du SAD ont rompu une alliance de dix-huit ans avec le BJP. Les syndicats ont également occupé les voies de chemin de fer ainsi que les péages routiers. Au Pendjab, les gares de péage ne peuvent plus collecter d’argent depuis septembre 2020.

Les syndicats du Pendjab ont obtenu de tous les partis politiques de cet État qu’ils s’opposent aux nouvelles lois agricoles, mais ils n’ont pas pour autant laissé ces partis traditionnels rejoindre le mouvement et en prendre le contrôle. Les syndicats ont fait travailler les partis par le biais de leurs propres plateformes et canaux. Le soutien populaire s’est considérablement accru avec l’arrivée de chanteuses·eurs populaires du Pendjab dans le mouvement, qui ont chanté pour celui-ci. Certain·e·s sont même devenus des militant·e·s et ont participé à des rassemblements ainsi qu’aux camps de manifestant·e·s. Des faits similaires se sont déroulés dans les États voisins de l’Haryana et de l’Uttar Pradesh occidental. Les syndicats nationaux avaient entre-temps commencé à mobiliser également leur base militante.

Le 26 novembre, un appel à la grève nationale et à une marche vers Delhi a été lancé. Le gouvernement BJP de l’Haryana a essayé d’empêcher les manifestant·e·s d’atteindre Dehli, mais ils étaient si nombreuses·eux qu’elles et ils ont pu écarter les barricades de la police et atteindre la frontière de la ville. Le gouvernement a alors demandé aux manifestant·e·s de se rassembler à un endroit précis, mais elles et ils ont choisi d’occuper à la place des tronçons d’autoroutes nationales de leur choix. Il y a cinq autoroutes reliant Delhi qui maintenant sont devenues les camps des manifestant·e·s.

Après s’être déplacé à Delhi, le mouvement n’a pas seulement reçu une attention nationale, mais également mondiale. Elle est très importante pour l’Inde, car il s’agit d’un des plus grands mouvements de son histoire en termes d’ampleur. La non-violence a été une caractéristique emblématique du mouvement et a été soulignée par les dirigeant·e·s étrangères·ers qui ont poussé le gouvernement fédéral BJP à revenir sur le plan de réformes agricoles. Cela a partiellement fonctionné puisque le gouvernement a proposé de retarder l’application des lois d’un an et demi. Mais les syndicats veulent que les lois soient complètement abrogées. Ils sont prêts à un long combat.

Pourriez-vous nous en dire plus sur le Trolley Times et ses objectifs?

En décembre, après que des manifestant·e·s ont décidé d’aller à Delhi et qu’elles et ils ont commencé à construire cinq grands camps de manifestant·e·s autour de la ville, nous avons réalisé que la communication entre les différents camps (séparés par 50 à 200 kilomètres les uns des autres) avait besoin d’être renforcée et que le point de vue des médias sur les manifestant·e·s devait être amélioré. Le journal devait combler cette lacune et son objectif était de mettre en avant les histoires et événements des camps racontés par les manifestant·e·s elles et eux-mêmes. Nous avons choisi d’écrire en punjabi et en hindi, car ce sont les deux langues les plus parlées ou lues dans les camps de manifestant·e·s.

Nous essayons de parler des sections sous-représentées du mouvement, comme les ouvrières·ers agricoles sans terre, les femmes ou les Dalits (caste la plus basse de l’Inde longtemps appelée péjorativement en français «intouchables»). Nous recherchons des contributions et appelons les personnes qui peuvent écrire pour notre journal. La plupart des rapports sont envoyés sous forme de notes audio ou manuscrites, qui sont ensuite transcrites par des bénévoles à leur domicile. Certains articles sont écrits directement dans les camps de manifestant·e·s. Nous publions aussi des essais importants rédigés par des universitaires renommé·e·s qui sont traduits de l’anglais puis publiés en hindi et punjabi.

Quelles sont les principales catégories de manifestant·e·s?

Il s’agit surtout de petit·e·s agricultrices·eurs et d’ouvrières·ers agricoles (sans terre), ainsi que des forces d’opposition de gauche, mais le mouvement est de plus en plus soutenu par les classes moyennes à travers toute l’Inde. En fait, ce mouvement a tellement galvanisé la population indienne qu’elle le considère comme une seconde lutte pour la liberté (la première étant celle pour l’indépendance). Étant donné que le BJP a modifié le système électoral à son avantage et qu’il est déterminé à centraliser le pouvoir dans ses mains, de nombreuses personnes ne voient pas comment une opposition par le bulletin de vote arriverait à contester la mainmise du BJP. Cela explique pourquoi le mouvement a choisi la contestation dans la rue, se plaçant ainsi dans une tradition de luttes pour les droits civiques en Inde dont le dernier exemple a été la mobilisation en 2019 contre les projets d’amendements sur la citoyenneté (ces amendements renforçaient le lien entre citoyenneté et confession religieuse ils étaient de facto discriminatoire envers les musulman·e·s) ou les anciens mouvements de contestation anticoloniaux du début du vingtième siècle.

Les Dalits étant la catégorie sociale la plus opprimée de la société indienne, elles et ils n’ont généralement pas les moyens de se battre politiquement à l’échelle nationale. Elles et ils n’ont souvent pas la possibilité de quitter leur travail pendant des mois pour manifester sur une autoroute. Néanmoins, les Dalits soutiennent largement le mouvement, car elles et ils sont elles et eux-mêmes souvent des ouvrières·ers agricoles sans terre. En fait, le mouvement paysan de contestation réduit les tensions entre les Dalits et les petit·e·s agricultrices·eurs. Elles et ils reconnaissent leurs intérêts communs dans la lutte contre ces nouvelles lois agricoles. Les Dalits dépendent particulièrement des céréales subventionnées que la nouvelle loi abolira en laissant les entreprises privées fixer leurs prix.

Quel est le rôle des femmes dans le mouvement?

Le très grand rôle joué par les femmes a été comme un choc pour beaucoup. Quel que soit le lieu de la manifestation où je me suis rendu, des femmes ont participé activement et parlé fort. Elles sont visibles dans la sphère publique, en particulier à l’avant des camps de manifestante·s. Elles se sont organisées entre elles. Tous les syndicats paysans ont maintenant des sections féminines.
La manifestation des agricultrices·eurs donne plus de visibilité aux femmes leaders comme les syndicalistes Harinder Bindu et Jasbir Kaur Nat. Non seulement elles s’occupent de la participation des femmes, mais également des décisions stratégiques concernant le mouvement. La participation des femmes a augmenté de façon significative et aujourd’hui, un grand nombre de femmes de l’Haryana ou de l’Uttar Pradesh rejoignent le mouvement. Si elles sont, en moyenne, plus conservatrices que les femmes sikhes du Pendjab, elles sont en train de s’émanciper par l’intermédiaire du mouvement.
Les femmes ont particulièrement mis l’accent sur la question des droits collectifs. Elles revendiquent un pouvoir collectif organisé plutôt que des droits individuels. Elles comprennent que le fait de s’organiser collectivement les prépare mieux à lutter contre l’oppression et leur permet de s’autonomiser.
De plus, les rôles de genre sont remis en question dans la mesure où les hommes font la cuisine et le ménage dans le camp des manifestant·e·s et réalisent ainsi l’ampleur du travail domestique des femmes. Dans les communautés rurales, les hommes et les femmes sont la plupart du temps séparés lors de rassemblements publics. Mais ici, le mélange est la norme. Les hommes ne contrôlent pas la participation des femmes dans la sphère publique.

Le 26 janvier, jour de la République indienne, le mouvement paysan a fait l’objet d’une couverture médiatique mondiale importante. Pouvez-vous nous dire ce qui s’est passé ce jour-là et son impact pour le mouvement?

Ce qui s’est passé le jour de la République est complexe. Ce jour-là, la fédération des syndicats à l’origine de la manifestation avait demandé au gouvernement de pouvoir manifester sur le périphérique extérieur de Delhi, construit en 1984, il est en fait  aujourd’hui situé à l’intérieur de la ville. La police a refusé de l’accorder, mentionnant le fait que, le même jour, aurait lieu le défilé officiel du gouvernement et que de nombreuses forces de sécurité seraient nécessaires ailleurs. Elle a accordé aux manifestant·e·s un autre itinéraire adjacent au périphérique extérieur. Les habitant·e·s de Delhi et les manifestant·e·s étaient satisfaits de ce compromis. Durant la semaine qui a précédé le jour de la République, un grand syndicat indépendant appelé Kisan Mazdoor Sangharsh (ce qui se traduit par Comité de lutte des ouvrières·iers agricoles) – qui ne fait pas partie de la fédération des syndicats – a déclaré que ses membres se rendraient sur le périphérique extérieur quoi qu’il arrive, avec ou sans autorisation. Ce syndicat voulait rester capable de prendre des décisions plus radicales et le 25, ce syndicat a annoncé son plan. Le 26, elles et ils ont forcé les barricades et se sont rendu·e·s sur le périphérique extérieur. De nombreux groupes de jeunes non organisé·e·s (non syndiqué·e·s) se sont joint·e·s à elles et eux et ont également forcé deux barricades. Après cela, certain·e·s d’entre elles et eux se sont regroupé·e·s dans un lieu religieux sikh et de là, ont pris la décision de se rendre au très symbolique Fort rouge de Delhi. Les dirigeant·e·s du syndicat indépendant n’étaient pas prêts à cela, c’était une décision spontanée.
Le gouvernement attendait depuis longtemps que le mouvement fasse une erreur tactique afin de lâcher sa propagande et son pouvoir contre le mouvement. L’invasion du Fort rouge a été cette «erreur». Mais si vous regardez les images, vous verrez que la police ne montre aucune résistance. Je pense que la police a laissé faire en étant passive parce que le gouvernement voulait cette «erreur». Certains manifestant·e·s ont placé le drapeau de syndicats paysans et d’autres le drapeau religieux sikh sur ce monument très symbolique. La couverture médiatique s’est surtout concentrée sur les drapeaux et le symbole sikhs afin de présenter le mouvement paysan comme un mouvement religieux sikh séparatiste. C’était exactement l’image que le gouvernement voulait leur faire porter.

En parallèle, 95 % du défilé s’est déroulé dans le calme et la sérénité. Les habitant·e·s de Delhi ont accueilli les manifestant·e·s en leur donnant du thé, de l’eau, des fleurs et même des guirlandes. L’ambiance était joyeuse et spontanée, et la manifestation composée de gens célébrant leur république.

Il convient de souligner que la foule de Delhi qui a accueilli les manifestant·e·s était principalement composée de Dalits, de Musulman·e·s et de Sikh·e·s à faible revenu. Ces groupes se sont trouvés du mauvais côté de la politique du gouvernement de droite dirigé par le BJP. Ils ont accueilli les agricultrices·eurs, qui mènent un combat qu’ils n’ont pas pu mener eux-mêmes.

Dans les régions où des manifestations paysannes ont eu lieu, beaucoup de personnes ont perdu leur emploi ou leur petite entreprise pendant la période de confinement liée au Covid-19. Le gouvernement ne leur a alors apporté aucun soutien. Le ressentiment à son égard y est très palpable.

Comment réagissez-vous à la stratégie et à la propagande du gouvernement après le 26 janvier?

La plupart des paysan·ne·s ont été attristé·e·s et déçue·s par les événements du 26 (principalement par la violence et le drapeau sikh hissé sur le Fort rouge) et ont eu le sentiment que le mouvement a été détourné par des personnes extérieures. Cette déception s’est installée et a affecté l’humeur de nombreux manifestant·e·s, dont certain·ne·s ont quitté le mouvement de manière définitive. Le 27 janvier, de nombreuses·eux manifestant·e·s qui étaient venu·e·s en renfort pour les 26 à Delhi sont parti·e·s et sont retourné·e·s au Pendjab et dans l’État de l’Haryana. Pour les médias, cela ressemblait à une désaffection majeure, mais la base organisée est restée dans les campements de manifestant·e·s.
Le 27 a aussi été le jour où la police a commencé à évacuer les plus petits camps de manifestant·e·s et le BJP a engagé des hommes de main pour attaquer les manifestant·e·s et les inciter à affronter la police. Il y a eu beaucoup d’escarmouches et de violence. Le BJP avait utilisé la même stratégie contre la loi sur la citoyenneté en 2019. Mais cette fois, les responsables du mouvement ont tenu ferme et ont soutenu les manifestant·e·s en réaffirmant qu’elles et ils resteraient. Le nombre de manifestant·e·s est resté si important que la police n’a pu les expulser par la force. Le gouvernement a donc coupé l’électricité, l’eau et l’internet mobile autour du campement afin de les forcer à partir.

Quand les habitant·e·s de l’Haryana et de l’Uttar Pradesh ont vu cela, et ont vu que le Pendjab et les Sikh·e·s devenaient les  boucs émissaires des événements du 26, elles et ils ne l’ont pas cru et même si ces deux États sont proches du BJP, les syndicats paysans ont réussi à y augmenter leur mobilisation et de nouvelles·eaux manifestant·e·s ont ainsi rejoint le mouvement. Le mouvement est donc désormais plus diversifié et plus fort.

Quelles sont les prochaines étapes?

La base est toujours là, la direction est forte et a annoncé qu’elle était prête à se battre jusqu’en octobre 2021. Le 6 février, une gigantesque action de blocage de route a été annoncée et les manifestant·e·s ont bloqué les routes et les autoroutes dans toute l’Inde. Le soutien populaire au mouvement est énorme, même dans la classe moyenne indienne, notamment en raison du ressentiment croissant du public à l’égard du gouvernement de Modi.

Le mouvement est en train de remodeler la république indienne en une société plus progressiste et pluraliste. La solidarité, même entre des groupes religieux différents, se renforce et le mouvement devient un mouvement de masse prêt à recourir à des tactiques de désobéissance civile. 

Un dirigeant syndical du mouvement s’est vu demander combien de temps la lutte allait se poursuivre. Sa réponse a été «jusqu’à ce que le gouvernement subisse une perte politique et devienne un gouvernement minoritaire».

Quel rôle la religion joue-t-elle dans le mouvement?

La religion sikhe est fondée sur la lutte des classes depuis sa formation et elle a joué un rôle majeur au Pendjab où les sikh·e·s sont majoritaires et où le mouvement paysan a émergé avec le plus de vigueur. La religion sikhe est apparue avec un gourou au XVe siècle. Appartenant à la caste des négociant·e·s, il participait activement aux débats philosophiques de son époque et a commencé à enseigner que le travail manuel et le partage de ce que l’on produit sont les principes de base d’une bonne vie. Son appel a trouvé un fort écho dans les classes laborieuses. Il a essayé d’abolir le système des castes et c’est pourquoi les castes dans la société sikhe sont moins rigides que dans d’autres régions de l’Inde. Historiquement, le sikhisme s’est opposé à la domination des Moghols. Le premier État sikh a été créé au XVIIIe siècle sous la forme d’une confédération qui a aboli le système des propriétaires terriens Moghols et a accordé des terres aux paysan·ne·s.

Le rôle joué par la religion hindoue dans la contestation est plus complexe. Les nationalistes hindous de droite sont pris entre leur allégeance au BJP et leur besoin de trouver un soutien parmi la paysannerie hindoue. De nombreux syndicats nationalistes hindous critiquent les politiques promarché du BJP. Proche des camps de manifestant·e·s, certains temples hindous ouvrent leur porte au mouvement et sont désormais considérés comme des espaces publics. Ils font preuve de solidarité avec les manifestant·e·s (même avec les sikh·e·s). Un temple hindou a même momentanément cédé son espace et son infrastructure à un syndicat sikh de gauche. J’ai même vu sur le site de la manifestation un sikh (à qui sa religion interdit de fumer) assis à côté de fumeuse·eurs de chicha hindous.

Comment est-il possible d’aider depuis l’étranger? Quelle aide avez-vous déjà reçue du monde entier?

L’aide du monde entier est importante. La diplomatie ou les institutions de l’ONU qui font pression sur le gouvernement indien sont déjà utiles. Tout·e haut·e fonctionnaire ou membre élu·e d’un parlement national étranger dénonçant publiquement ce que le BJP représente est déjà une aide pour notre mouvement.
Étant donné qu’un des aspects majeurs du problème de ces nouvelles lois agricoles est le capitalisme mondial et les politiques qu’il favorise, il est également utile d’attaquer et de dénoncer les théories promarché et leurs conséquences négatives en Occident. La solidarité des manifestant·e·s du monde entier serait également utile.

Propos recueillis par Hervé Roquet et traduits depuis l’anglais par Hervé Roquet et Léonore Vuissoz.

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Farmer protest movement in India – The activist perspective from within

Interview with Jasdeep Singh •

To learn more about ongoing the social movement of farmers in India and its struggle against the new farm laws, Pages de gauche conducted and interview with Jasdeep Singh, a regular editor, contributor and translator of the movement grassroot newspaper Trolley Times.


What started the farmer protest movement and what happened since then? What role did farmer unions play?

What started the movement is the push in 2020 by the ruling BJP party to implement 3 new neoliberal farm laws. The protest was started by the coordinated reactions of 31 unions which formed a coalition (the Sanyukt Kisan Morcha) to fight these reforms.

On 27 September 2020, the three bills were rushed through parliament and became laws. By that time the unions in Punjab – where the reaction was the strongest – had already started occupying shopping malls and grain silos of the agri-conglomerate Adani. This company was targeted since it will hugely benefit from the reforms and they represent moneybags for the BJP. The union also picketed the house of the president of the main Sikh party Shiromani Akal Dal (SAD, a centre-right Sikh-centric state political party in Punjab). The public outcry in Punjab was so high that the SAD leaders broke away from 18-year-old alliance with the BJP. The unions also occupied railways and toll plazas. Toll plazas in Punjab can’t collect fares since September 2020.

The Punjab unions got all political parties in the state to oppose the new farm laws, but they did not let the mainstream parties join and take over their movement. They made the political parties work through their own platforms and channels. Popular support went increasing with Punjabi popular singers joining the movement and singing songs for the movement. Some became activists themselves and attended rallies and protest sites. Similar things were happening in the neighbouring states Haryana and Western Uttar Pradesh. The nationwide unions had meanwhile started mobilizing their bases as well.
By 26th November there was a call for national strike and to march to Delhi. The BJP government in Haryana tried to stop the protesters to reach Delhi but the huge number of protesters removed the police barricades and reached Delhi border.
The government pleaded that the protesters should gather at a designated place but instead they occupied the national highway stretches of their choice. There are 5 main highways to Delhi which have now become the protesters’ camps.
After shifting to Delhi, the protest became not only national attention but global.
It is significant for India as it is one of the biggest protests in history in terms of scale and number and the way it has functioned.
The non-violence has been a feature of the protest and its noticed by world leaders who have pushed the BJP government back on its reforms plan. It worked partially since the government has offered to stall the laws by a year and half. But the unions want the laws to be completely repealed. They are prepared for the long fight.

What are the main issues with the 3 new 2020 farm laws which the BJP tried to implement in India?

The new laws are meant to dismantle a well-oiled system of agricultural regulations, and procurement which protected small farmers in India, for instance by insuring specific stable prices for their crops.
The new laws are making it much easier for the corporate sector to aggressively enter the agribusiness. Farmers will have no legal recourse to sort out disputes with private corporate players if any.
The current government has become way more aggressive than the former ones in the disruptive introduction of free market capitalism in all avenues. The farmer unions have been asking for agricultural reform as well, but the governments have found a shortcut by giving away the farming sector to the corporates by introducing corporate contract farming practices which will displace the majority of farmers out of their livelihood.

These policies are part of the ‘structural reforms’ introduced by WTO post 1991 in India. Since then, the farmer unions and trade union have been vocal against the free market take-over of public roads, health, and education infrastructure. The people of the region have found out the way education and health services have become expensive because of the reforms, and now the entry of big companies into agriculture would mean they will be forced out of their farmlands. So far, they have been able to pressurize the government to compensate the farmers in case of crop failures, floods, or electricity subsidies.
The new laws will also dismantle the Public Distribution System which ensured rationed food for the poor. Hence the landless laborers have also joined hands with landholding small farmers in this fight to stop and push out the big capital takeover of the farming sector ensured by the BJP government.
The 3 farm laws are meant to disband the government procurement system and remove government from the food security net of the country. They are meant to pave way for corporate sector/ big companies like Adani Reliance to enter agribusiness.

Could you tell us more about what Trolley Times and its aims?

In December, after the protesters decided to move to Dehli and started building 5 major protest camps around the city, we realized that the communication across the sites (separated by 50-200 kilometres from each other) needed to be improved and the mediatic perspectives of the protesters themselves needed to be strengthened. The newspaper was to address that gap and its goal was to tell the stories of the protest sites to protesters themselves. We chose to write in Punjabi and Hindi given that it was the two most spoken/read languages on these protest sites.
We try to talk about underrepresented sections of the protest, for instance landless farm laborers, women or Dalit. We seek contributions and call people who can write and contribute to us. Most of the reports are sent via audio notes or handwritten notes, which are then transcribed by volunteers in their homes. Some are written at the protest sites. Some important essays by renowned scholars are translated from English and published in Hindi/Punjabi.

Who are the protesters actually?

Mostly small farmers as well as farm laborers (landless) together with left-wing opposition forces but the movement is getting more and more support from middle classes all over India. Actually, this movement has galvanized the Indian public so much that they think of it as a second freedom struggle. Given the fact that the ruling right-wing BJP has tweaked the electoral system to their advantage so much and are hellbent on centralizing the power to themselves, the masses do not see that an electoral opposition can challenge their might. This explains why they decided to protest, putting themselves in the tradition of a series of struggles for civic rights in India like the 2019 movement against the citizenship amendment bills or the older anti-colonial protest movements at the beginning of the 20th century.

The Dalit being the most oppressed cast of the Indian society they usually do not have the means to fight politically at this scale. They often don’t have the mean to leave their work for months while on a highway protesting. But nevertheless, the Dalits are broadly supportive of the movement because they are often the landless farm laborers. The farmer protest movement actually reduced the tension between the Dalit and the small farmers. They recognize their common interest in the fight against the farm laws. The Dalit especially are relying very strongly on subsidized grains which the new laws will abolish be letting corporations set the price.

Which role is gender playing in the movement?

Gender has been like a revelation. Whichever site of protest I went, women have been actively participating and talking loudly. They are visible in the public sphere in the front of the protest site. They organized themselves. All the farmers unions have women wings now.
The farmer protest gives more visibility to women leaders like Harinder Bindu & Jasbir Kaur Nat. She takes care not only of the women’s participation but also of the strategic decision regarding the movement. The swell in women’s participation has been significant. Now a high number of women from Haryana and UP are joining the movement, they are on average more conservatives than Sikh women from Punjab, but they are being empowered by the movement.
Women have especially focused on the issue of collective rights. They want collective organized power more than individual rights. They understand that being organized makes them better equipped to fight oppression and be empowered themselves.
Also, gender roles are being challenged in the sense, men are cooking & cleaning at the protest sites, and they realize the importance of women’s labour in their house chores. In rural communities’ men & women are segregated in public gatherings most of the time. But here intermingling is the norm. The men do not police the women’s participation in public sphere on their own.

During the Indian republic day (26th of January) a lot of mediatic coverage of the farmers’ protest was shown in the west. Could you tell us what happened and what it means for the movement?

What happen on Republic Day is complex. On that day, the federated unions behind the farmers’ protest had asked the government for the outer ring road in Dehli – build in 1984 – now it is actually located within Dehli. The police refused to grant it, mentioning the fact that on the same day there would be the official government parade and a lot of security forces needed elsewhere. They granted the protesters another route which touched the outer ring road. People in Dehli and the protesters as well were satisfied about this compromise. In the days before republic day (26 of January), a large independent union called Kisan Mazdoor Sangharsh Committee (Farmer labourer struggle committee) – not part of the unions’ federation – said they would go to the outer ring road no matter what. They wanted to remain able to take more radical decision.

They announced their plan on the 25th, and on the 26th they forced through the barricade and went to the outer ring road. A lot of unorganized youth groups (not unionized) joined in and forced the two barricades as well. After that some of them regrouped at a Sikh religious place and from there took the decision to move up to the highly symbolic Dehli Red Fort. Even the leaders of the independent union were not ready for that. It was a spontaneous decision.

The government had been waiting for a long time for the movement to make a mistake in order to unleash its propaganda and power against the movement. The Red Fort take over was that “mistake”. But if you watch images of the Red Fort takeover, you see cops not showing any resistance. I think that the police let it happen by being passive because the government wanted this « mistake ». Some protesters put farmers’ union flag or Sikh religious flag on this very symbolic monument and the media coverage mostly focused on the Sikh flags and symbol in order to portray the farmer movement as a separatist Sikh religious movement. It was exactly the playbook the government wanted them to play.

Meanwhile 95% of the parade went well and peacefully. People of Delhi welcomed the protesters by giving tea, water, flower even garlands. There was joyous and spontaneous mood of people reclaiming their republic.

It needs to be noted that the Delhi public that welcomed the farmers parade was mostly low-income group Dalit/Muslim/Sikh populace. These communities have been on the wrong side of right-wing BJP led government and they welcomed the farmers since the farmers are fighting the battle, they have not been able too.

In the areas the farmers parade went through a lot of people had lost jobs, small business during the covid-19 related lockdown and the government had not given any kind of support to them. The resentment against the government was very palpable.

How are you reacting to the government strategy and propaganda after the 26?

Most of the farmers were saddened and disappointed by the events of the 26th (mostly about the violence and the Sikh flag being raised) and felt the movement has been hijacked by outsiders. It settled in and affected the mood of many protesters, some of them left the movement for good. On the 27th many protesters who came extra for the 26 to Dehli left and went back to Punjab and Haryana. For the media, it looked like a major disaffection, but the organized base stayed in the protest camps.

On the 27th, the police started clearing smaller protest sites and the BJP hired goons to attack protesters and provoke them to confront the police. There was a lot of skirmishes and violence. The BJP has used the same strategy against the citizenship act in 2019. But the leaders stood by the protesters and reaffirmed that they will stay. The number remained so huge that the police could not evict the protesters by force, this is why the government cut electricity, the water supply and mobile internet around the protest site in order to force them out.

When the people of Haryana and Uttar Pradesh saw this, and saw that Punjab and the Sikh were singled out for the events, they were not buying it and even though these two states are ruled by BJP, the farmer unions from these states were able to increase their mobilization and new protesters joined the movement. The movement now is therefore more broad-based and stronger.

What are the next steps?

The base is still there, the leadership is strong and announced to be ready to fight till October 2021.  On the 6th of February, a huge traffic jam was announced and protesters all around India blocked roads and highways. The popular support for the movement is huge even in the Indian middle class (also because of the growing resentment in the public about Modi’s government).

The protest is reshaping the Indian republic in a more progressive and pluralistic society. Solidarity even across religious group is being strengthened and the movement is becoming a mass movement with a readiness for civil disobedience tactics.

One union leader of the movement was asked how long the fight will continue? His answer was “till the government suffer a political loss and becomes a minority government.”

What role does religion plays in the protest?

Sikh religion is based on class struggle since its formation and it played a major role in Punjab (where Sikhism is dominant) and where the farmer movement emerged most strongly. Sikhism emerged with a guru in the 15th century. A trader by caste, he engaged in the philosophical debate of his times and started to teach that working with one’s hands and sharing what one produces are the basic tenets of good life. His appeal was to the labourer caste. He tried to abolish the caste system, and this is why the castes in Sikh society are less rigid than in other parts of India.

Historically Sikhism was created in opposition to the Moguls’ rule. The first Sikh state was created in the 18th as a confederation. Its abolished Moguls system of landlords and peasant tenancy and granted peasants’ land.

The role played by Hindu religion in the protest is more complexes. Right-wing Hindu nationalists are caught in between their allegiance to the BJP and their need to find support among Hindu peasantry. Many Hindu nationalist unions are critical of the pro-market policies of the BJP.

At the protest sites, some Hindu temples open their door to the movements and are now considered public space. They show solidarity with the protesters (even with the Sikh). A Hindu temple even momentarily gave their facilities to a left-wing Sikh union. I even saw on the protest site a Sikh (who’s religion ban smoking) sitting next to Hindu hookah smokers.

How is it possible to help from abroad? What help have you already received from around the world?

The global support is important. Diplomacy or UN institutions putting pressure on the government is helpful. Any public official or elected member of a national foreign parliament publicly denouncing what the BJP already helps.
Given that one side of the problem is global capitalism and the policies it favours, it also helps to attack and denounce pro-market theories and their adverse consequences in the west. Protest solidarity across the world would also help.

Interview by Hervé Roquet.

Crédit image : page de titre de l’édition 12 du Trolley Times.

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