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La crise des inégalités

La crise actuelle ne se réduit pas uniquement à une crise financière, mais prend ses racines dans l’accroissement des inégalités sociales et risque d’être durable.

La crise s’est durablement installée dans la vie économique et politique. Ses conséquences se multiplient avec ses cortèges d’annonces de licenciements, plus de 600 000 suppressions d’emplois aux Etats-Unis rien que pour le mois de janvier 2009, le chiffre le plus élevé depuis trente ans. Les médias ont essentiellement insisté sur la dimension financière de la crise, cependant d’autres facteurs plus profonds doivent également être pris en compte pour comprendre l’ampleur de la crise actuelle. Une mise en contexte plus globale des racines de la crise est nécessaire si l’on veut apporter des réponses politiques satisfaisantes.

Inégalités et financiarisation à l’origine de la crise

Pour rendre compte de la crise financière et de ses retombées sur l’économie réelle, les médias et les principales analyses se sont presque exclusivement focalisées sur les dérives du système financier: libéralisation des marchés financiers, opacité des activités des banques, produits dérivés, bulle spéculative… Ces aspects sont bien entendu très importants. Pourtant, une dimension centrale est souvent passée sous silence, à savoir l’accentuation des inégalités sociales, de revenus et de fortune, en particulier aux Etats-Unis. A ce propos, deux phénomènes à l’origine de la crise doivent être soulignés.

Premièrement, la faible progression des salaires et l’accentuation des inégalités sociales aux Etats-Unis au cours des dix dernières années ont nourri la crise. Durant les dernières années, les ménages de plus en plus paupérisés ont consommé et acheté leur maison à crédit. Les crédits hypothécaires, généreusement octroyés par les banques à ces ménages dont le revenu stagnait, ont ensuite été «titrisés» par les banques, c’est-à-dire convertis en papiers-valeurs échangés sur les marchés financiers. Ainsi, les risques liés à ces «crédits pourris» ont été disséminés sur l’ensemble des marchés financiers. Une fois que les prix de l’immobilier se sont effondrés, les ménages devenaient incapables de faire face à leurs obligations financières. A partir de là, les banques, qui s’étaient fortement exposées sur ce type de placements, extrêmement lucratifs pendant un certain temps, ont sombré dans la crise depuis l’automne 2007. La crise s’est répandue comme une traînée de poudre dans l’ensemble de l’économie…

Deuxièmement, à l’autre bout de l’échelle sociale, l’accroissement des revenus et de la fortune des plus riches, favorisés par l’essor des marchés financiers, a permis une forte augmentation de l’épargne de ces ménages. Or, cette épargne n’a pas été investie dans l’économie réelle, mais plutôt de manière spéculative dans les marchés financiers.

Derrière la crise financière se cache donc à la fois une crise de sous-consommation et de suraccumulation, les deux allant de pair. Aux Etats-Unis, la demande a donc été artificiellement maintenue à crédit depuis le début des années 2000 pour soutenir l’activité économique. La combinaison entre accroissement des inégalités et financiarisation n’a fait qu’accentuer l’ampleur de la crise, comparable, voire plus grande que celle de 1929.

Quelles remèdes à la crise?

Les classes inférieures et moyennes qui avaient déjà le moins bénéficié de la phase d’expansion économique antérieure sont aussi les catégories sociales qui subissent de plein fouet et le plus douloureusement les conséquences de la crise: licenciements, chômage, baisses de salaires, défauts de paiement… C’est pourquoi, dans le contexte de crise actuel, les réponses politiques ne doivent pas se limiter à soutenir financièrement des banques ou des entreprises en difficulté sans contrepartie, comme l’a fait le Conseil fédéral. De telles mesures ponctuelles de sauvetage, nécessaires dans de nombreux cas, doivent être complétées par des interventions des collectivités publiques qui soutiennent l’activité économique et bénéficient à l’ensemble de la population, afin d’atténuer les effets de la crise pour les plus bas revenus.

Comme le préconisait déjà dans les années 1930 l’économiste anglais John Maynard Keynes, en demandant une «socialisation partielle de l’investissement» et l’«euthanasie des rentiers», deux axes de réformes semblent prioritaires: d’une part, des interventions publiques pour soutenir l’activité économique dans le sens d’une revalorisation des infrastructures et la reconversion écologique de la production économique; d’autre part, au niveau national, et surtout international, les Etats doivent prendre des mesures pour une meilleure régulation des marchés financiers afin de réduire l’opacité de certains placements financiers.


L’article de Jacques Sapir (janvier 2009), Les racines sociales de la crise financière
http://www.france.attac.org

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