La différence fondamentale réside surtout dans le fait que les Verts libéraux sont environnementalistes et non pas écologistes! Cela signifie qu’ils prennent essentiellement en considération les dimensions économiques et environnementales, et pas la dimension sociale du développement durable. L’écologie sociale, pour les Verts, est fondamentale. C’est une option humaniste, pacifiste, libertaire, solidaire, que les Verts libéraux ne prennent pas en compte. Ils sont favorables au libéralisme économique, sans tenir compte du fait que cette option implique une recherche de profits qui va souvent à l’encontre du développement durable (exploitation exagérée des ressources humaines et naturelles, gaspillage, injuste répartition des richesses, non prise en considération des coûts externes de la production et de la distribution) . C’est vrai que l’économie peut tirer profit de l’écologie en développant des technologies favorables à l’environnement et pourvoyeuses d’emplois. Les Verts ne sont pas des ennemis de l’économie, et pas forcément non plus des partisans de la décroissance. Nous estimons cependant que le libéralisme économique tend, par sa nature, vers le déséquilibre écologique. Un exemple frappant est le problème actuel des biocarburants : au départ, c’est une bonne idée pour la protection de ’environnement. Mais tout se passe comme si les grands pays producteurs s’ingéniaient à reproduire tous les défauts du système capitaliste et à recréer un potentiel de destruction de l’environnement (cultures intensives, recours à la chimie, transports d’un bout à l’autre de la planète, concentration des terres et exclusion des petits paysans)!
Avec Martin Bäumle, mon collègue des Verts libéraux de Zurich, je fais partie de la commission de l’environnement du Conseil national. En général notre collaboration est positive pour tout ce qui concerne directement la protection de l’environnement. Mais c’est plus difficile d’obtenir son appui lorsque des restrictions de la liberté économique sont en jeu. Par exemple, pour la Loi sur l’approvisionnement en électricité, sur la question des buts assignés à la loi de favoriser la croissance économique et de promouvoir la concurrence. Quand j’ai proposé de ne pas faire figurer cela dans les buts de la loi, il ne m’a pas suivie. Mais pour le reste de la loi, nous étions en général tout à fait d’accord. C’est surtout sur les dossiers sociaux que nos désaccords sont les plus flagrants au Conseil national : AVS, AI, Assurances maladie, etc. Martin Bäumle vote généralement avec la droite. Parfois même plus à droite que le PDC et que certains radicaux. La plate-forme des Verts libéraux zurichois est d’ailleurs tout à fait incompatible avec la nôtre.
2. En Suisse romande, existe-t-il un potentiel de création de "Verts libéraux" structurés en parti (à la différence d'un mouvement comme "écologie libérale")? Cela ne contribuerait-il pas à "clarifier" le champ politique?
Je ne pense pas que la création d’un parti structuré des Verts libéraux soit probable en Suisse romande. Certes, cette tendance existe au sein des Verts. Le débat est parfois vif, mais sans que cela aille vers une scission. Il faut dire que beaucoup de groupes Verts ont suivi plutôt une évolution inverse. C’est dans les années 80 qu’existait le plus fortement la séparation entre pastèques et concombres, c'est-à-dire entre les mouvements alternatifs verts-rouges et les environnementalistes verts-verts. Dans beaucoup de cantons, ces mouvements se sont rapprochés ou ont même fusionné, et sur l’ensemble de la Suisse, plusieurs groupes verts alternatifs se sont affiliés aux Verts suisses. Cette évolution s’est faite en 20 ans, et je ne pense pas qu’elle va changer de sens à moyen terme. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait plus de divergences, mais il n’y a pas forcément une fracture nette entre partisans de tendances opposées. Les opinions et les positions des uns et des autres se sont plus ou moins recomposées, de telle sorte qu’il est plutôt difficile d’identifier des fractions.
C’est clair que ce brassage a pour conséquence une plus grande difficulté à produire un programme bien défini. J’ai parfois le sentiment qu’on ne prend même plus la peine de passer beaucoup de temps et de discussions à élaborer une plate-forme qui aille au-delà des revendications à court terme, ou même simplement à réfléchir en termes politiques et idéologiques, contrairement à ce qui se passait dans les années 80. C’est peut-être pourquoi on parle souvent, à propos des Verts, de la distinction entre pragmatiques et fondamentalistes. Cela me désole, d’une certaine manière, parce que taxer ceux qui réfléchissent à une vision d’ensemble de fondamentalistes, c’est justement une façon de disqualifier l’idéologie.
3. Pensez-vous qu'il existe, fondamentalement, une opposition entre libéralisme économique et écologie?
Oui ! Il y a certainement opposition, mais pas forcément incompatibilité. J’ai déjà donné quelques éléments de réponse à la première question. Les Verts ne sont pas des ennemis de l’économie privée et du marché. Ils ne sont pas non plus pour une économie planifiée et étatisée. Il ne faut pas oublier que les Verts sont les héritiers des mouvements libertaires et autogestionnaires des années 70 ! Les initiatives individuelles sont à encourager et les petites entreprises à soutenir. Ce qui guide notre réflexion, c’est le critère du développement durable, même si ce terme est aujourd’hui employé à toutes les sauces et souvent galvaudé. Le développement est entendu plutôt dans sa dimension qualitative, comme le propose l’indice de développement humain (accès à la formation, à la santé et au bien-être) que dans sa dimension quantitative. C’est à ce titre que la notion de croissance (= toujours plus) nous paraît suspecte. Par définition, le « toujours plus » est incompatible avec les ressources forcément limitées de notre planète et de ses habitants. Le libéralisme économique porte en lui les germes de ses outrances et de sa propre destruction par le biais de la destruction de la planète. C’est le rôle du politique de constamment mettre des garde-fous, des barrières, des limites à cette course au profit qui caractérise le libéralisme économique. Il faut bien voir aussi qu’il y a des contradictions à l’intérieur de ce système de l’économie libérale, et que le néolibéralisme et la mondialisation constituent comme une boursoufflure du système, qui pourrait ne pas durer éternellement tant elle est finalement dangereuse pour l’économie mondiale. Hélas, avant qu’on passe à autre chose, les dégâts infligés aux populations défavorisées et à l’environnement seront peut-être irréversibles !