Fanon, «un homme qui interroge»

Antoine Chollet •


De Frantz Fanon, on connaît généralement Les damnés de la terre, son dernier livre, paru juste avant sa mort si précoce en 1961, alors qu’il n’avait que 36 ans. Les lectrices·eurs les plus pressé·e·s n’en connaissent même souvent que la préface de Sartre, laquelle en dit, comme toujours avec Sartre, davantage sur lui que sur le livre préfacé… Les damnés de la terre est un texte très impressionnant, furieux, fébrile, mais dont la conclusion – celle de Fanon, pas celle de Sartre – n’a pas perdu sa force : «nous ne voulons rattraper personne. Mais nous voulons marcher tout le temps, la nuit et le jour, en compagnie de l’homme, de tous les hommes».

Fanon, dont il ne faut pas oublier qu’il était médecin-psychiatre, a pourtant écrit d’autres livres, tout aussi fascinants mais moins connus. Le premier, qu’il publie en 1952, Peau noire, masques blancs, est un moment décisif de l’histoire de l’analyse des effets du racisme. À partir de ses observations cliniques, mais aussi de ses lectures, il décrit quelques-unes des pathologies spécifiquement liées à l’existence d’une structure raciste dans la société, structure sociale qui a des effets individuels très importants, y compris au niveau du psychisme. Bientôt il va rejoindre l’hôpital de Saint-Alban où s’ébauche la psychothérapie institutionnelle, avant de s’établir en Algérie, comme médecin et militant du FLN. La conclusion de Peau noire, masques blancs recèle des formules frappantes, notamment sur la temporalité de la question coloniale : «seront désaliénés Nègres et Blancs qui auront refusé de se laisser enfermer dans la Tour substantialisée du Passé. Je suis un homme, et c’est tout le passé du monde que j’ai à reprendre. Je ne suis pas seulement responsable de la révolte de Saint-Domingue».

Fanon poursuivra ses activités intellectuelles et militantes jusqu’à sa mort, publiant au passage L’An V de la Révolution algérienne, un autre livre admirable. C’est donc bien parmi les «hommes qui cherchent» ou qui «interrogent», comme il le dit dans la conclusion de Peau noire, masques blancs, qu’il faut ranger Fanon, l’un des auteurs les plus originaux de la galaxie anticoloniale et antiraciste.

À lire : Frantz Fanon, Œuvres, Paris, La Découverte, 2011.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 177 (automne 2020).

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